Les petites filles aux nattes

L’ impasse bordée de géraniums se réveille.

7 heures , mon père qui exerce la profession de tailleur se lave dans l’évier, le seul point d’ eau de la maison.

Au 209 rue St Maur, en juillet 1942, le confort se résume aux toilettes à la turc sur chaque palier.

Mon père Abraham, juif polonais aime rire . Son rire fait parfois vibrer notre une pièce et demie.

L’ atelier où il travaille 6 jours sur 7 est situé rue Rambuteau , au numéro 50.

Il appelle ce lieu « 50 rue des boutiques obscures  »

Je me souviens , toute petite, l’avoir accompagné une fois jusqu’ à la porte grise de l’ atelier,  c’ était en Décembre , de noires silhouettes se courbaient sous le froid de la saison, la  porte de l’atelier était ouverte , j’eus le temps d’ apercevoir de très grands ciseaux de couture aux lames aiguisées et de petits bouts de laine jaune, vert , bleu, rouge.

C’ était comme des fleurs de printemps.

Ce 10 juillet 1942, je décidai malgré mon étoile jaune cousue sur  ma verste bleue légère et mon nom bien yiddish Iéléna BRAUN de m’aventurer jusqu’ au parc de l’ Avenue de la République. Je savais que je ne pouvais y entrer. Pas le droit car j’ avais l’ étoile cousue sur la veste , je regardai les autres enfants jouer à travers la grille.

J’étais partie très vite de la maison  en dévalant les escaliers de guinguois du vieil immeuble.

lorsque je pris la fuite dans l’ escalier , mon père se préparait pour aller travailler , ma mère à genoux lavait le sol , mes sœurs dormaient encore. Nous ne pouvions plus aller à l’ école Avenue Parmentier depuis plusieurs semaines.

Pourquoi me suis je ainsi sauvée de chez moi , ce matin là?  C’ est une question que je me pose encore aujourd’hui.

Je contemplai une dernière fois les petites filles à nattes qui se tenaient par la main et qui riaient de toutes leurs dents dans les allées du vaste parc.

Je rentrai dans la cour de l’ immeuble en fin de matinée, vers 13h heures peut être.

Beaucoup de monde était groupé dans la cour , selon la méthode indéfinissable des policiers français et des soldats allemands.

Tout l’ immeuble était là.

La concierge Madame MUGUET me fit très vite un signe de tête, je la suivis dans sa loge, sonnée , hébétée, transie, sourde et muette. Les images floues de mon avenir se dessinaient.

Pourquoi ne vit on pas ce matin là mon étoile jaune?

Ceux qui deviennent vieux un jour savent pourquoi.

 

 

 

 

 

 

 

 

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