Les rendez-vous d’Iris

Au milieu des immeubles, les jeunes feuilles de l’arbre solitaire attirent les pigeons en pleine fringale. Ils ont quitté leur abri, à la recherche de nouveautés et d’amour fugace. Sur le bord des cheminées, ils attendent patiemment qu’une compagne arrive. Postée derrière sa fenêtre, la vieille dame suit le rituel quotidien de ces compagnons qui l’accompagnent ces derniers jours. Est-ce que ce matin encore, ils seront au rendez-vous ? Est-ce qu’ils vivent dans un nid, dans un jardin public, protégé par un rebord de toit ou bien dans une haie ? Elle se demande si leurs œufs sont bien protégés des pies ou de ces gros oiseaux noirs qui se posent parfois sur la grille ou le toit des voitures, bec et griffes acérés. Effrayants, ils semblent guetter leurs proies, ne craignant ni les passants, ni les chats qui sautent de mur en mur. Ils lui rappellent le film d’Alfred Hitchcock. Elle voudrait les chasser à coup de balai mais elle est clouée sur son fauteuil, dans l’incapacité de se hisser sur ses jambes pour aller jusqu’à la porte de sa chambre et sortir dans le jardin. Elle voudrait croire qu’un jour, elle retrouvera suffisamment de force pour se promener seule dans les allées, pour jouir du printemps nouveau, de l’éclatement des bourgeons, des fleurs qui offrent corolle et pistil au soleil levant. Maintenant, elle attend Hervé, le jeune kiné, qui, tous les jours, vient la chercher. Pendant une heure, Hervé est près d’elle, la guidant avec douceur et fermeté au cours des exercices qu’il a préparé pour elle. Elle regarde ses mains, ses pouces carrés aux ongles coupés droit. Il ne porte pas d’alliance mais elle a cru comprendre qu’il avait une petite amie. L’autre jour, le téléphone a sonnée. Il était embêté car il a dû décrocher. Au son de sa voix, elle a compris que ce n’était pas professionnel et les paroles qu’ils ont échangées, ont été brèves, renvoyant à un « à plus ». Ce n’était pas très chaleureux, avait-elle pensé. Avant ce n’était pas comme cela. Il avait ensuite retrouvé son sourire tandis que le parfum de son eau de toilette venait jusqu’à ses narines. De temps en temps, elle faisait exprès de s’abandonner un peu pour qu’il la rattrape. Mais là, il la sermonnait. Voyons Iris, une belle fleur comme vous, vous devez rester bien droite. Vous n’allez pas rejoindre le cortège des roses trémières que l’on doit aligner le long d’un mur avec un tuteur. Ces paroles étaient comme un baume de douceur sur ses articulations grippées. Iris, je vous promets que si vous arrivez à faire l’aller – retour jusqu’à la baie vitrée, on pourra essayer de faire quelques pas dans le jardin. Vous nous voyez touts les deux, bras dessus bras dessous, sous les marronniers en fleur ? Quel printemps ! Si vous vous accrochez, si vous faîtes des efforts en continuant à faire fonctionner vos jambes dans votre chambre, on pourra le faire. Ce seront nos foulées parisiennes à nous. Moi aussi, il faut que je m’entraîne pour le Paris Versailles. Et Iris souriait en écoutant ses confidences.

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