Petite chronique des Dolomites

Nous avons eu faim. Soudainement, brutalement, comme on peut avoir faim au cours d’une randonnée, quand le dernier raidillon, mouillé par la pluie de la nuit, glisse un peu et que les jambes s’alourdissent.

Au loin quelques maisons. Des touristes aux jeans délavés et aux chaussures souvent inadéquates. Un village de montagne en été, quand tout s’imbrique et se côtoie, paysans octogénaires et randonneurs sexagénaires, plus quelques jeunes en motocross. Le bleuté du ciel et des glycines sur une maison, à l’ombre de la rue. Souvent, le vent venu de l’ouest brouille les pistes et disjoint les tuiles rouges.

une auberge enfin, quatre tables devant la façade aux lourdes pierres.un ruisseau qui se faufile entre les tournesols et les haricots verts du jardin attenant. Il est mal rasé mais ce n’est pas une question de mode, juste de la négligence.il est mal rasé et son pantalon fait d’innombrables plis sur ses cuisse maigres. Le patron s’approche de nous en claudiquant légèrement, la main posée sur sa hanche. Il porte un gilet en cuir gris-vert et une chemise à carreaux qui laisse entrevoir quelques poils gris. Ses longues mains ridées essuient la table, comme en passant, puis il pose devant nous quatre verres qu’il tient par l’intérieur, ses doigts bien agrippés à la surface arrondie. Pour un japonais c’est l’horreur bactérienne. Mais le vieil homme ne remarque pas la mine dégoûtée de mon mari. Il continue à agiter son torchon grisâtre et revient quelques minutes plus tard avec des assiettes et des couverts. Une fourchette tombe par terre, il la ramasse et la pose à droite d’une assiette. Apoplexie nippone. « was möchten Sie Essen »? nous demande-t’il, je remarque alors qu’il a des yeux magnifiques, veloutés, chaleureux. Nous mangeons de la tarte montagnarde, le nez frôlé par un petit vent qui se lève. Un chat se frotte contre nos jambes.Nous repartirons jusqu’à une cabane en bois, devant laquelle, rouges et heureux, nous prendrons quelques photos.

ô mes chères et majestueuses Dolomites à la sombre beauté, aux alpages immenses, patrimoine de l’humanité , sur lesquels on marche, les poumons gonflés d’enthousiasme et d’air pur, arpenteurs d’herbe et de fleurs, hurlant de bonheur devant cette absolue beauté, la ligne d’horizon, loin, si loin, les fabuleux troupeaux de vaches et de chèvres, leurs clochettes qui tintent comme des voiliers au port.

Ô mes chères Dolomites métissées par la cruauté de l’histoire, âme tyrolienne et destin italien qui,  malgré ces affrontements sanglants pendant presque un siècle, avez réussi à donner à cette contrée une double appartenance, structure allemande et joyeux bordel latin et qui, du haut de vos sommets, avez tout unifié, tout apaisé, tout remanié, tout ramené à la paix des prairies miroitantes au soleil.

MM

 

Ce contenu a été publié dans Atelier Buissonnier. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Petite chronique des Dolomites

  1. Catherine Z dit :

    Magnifique .En quelques lignes tu as réussi à camper l’ambiance, l’atmosphère des Dolomites que je connais . J’ai un mari italien du Trentino .

Laisser un commentaire