Vies d’artiste

Dans l’aile est du château, le tambour sonnait l’heure de la fête. Les sabots galopaient sur les pavés, les jupons se froissaient au contact des genoux.
La table était dressée, bougeoirs et chandeliers de bout en bout pour éclairer d’une lueur douce les victuailles alléchantes.
Les sabots s’arrêtèrent brusquement au pas de la porte. Personne n’osait entrer. Les yeux étaient rivés sur le gros chat angora qui se dodelinait autour de la pièce, marquant son territoire. Le feu de la cheminée crépitait. Le chat étirait son dos et ses pattes puis faisait le dos rond. Il ignorait noblement les convives bloqués à la porte.
Dans les cuisines, le personnel fourmillait, certains chargés d’une soupière, d’une saucière, d’un plat, d’autres remuant les marmites, les chaudrons avec des louches ou des cuillères en bois.
Le chat avait enfin décidé de quitter les lieux et avait sauté par la fenêtre pour rejoindre l’étable où il allait pouvoir discuter avec son ami l’âne. Les convives restaient sur le pas de la porte et attendaient un signal. Les flammes des bougies dansaient et caressaient les pétales des fleurs agencées dans un vase en terre cuite.
Adrien contemplait ce tableau assis sur la banquette en cuir noir. Il avait pris son carnet en laque, des fusains, des sépias, des crayons à papier et son taille-crayon. Sur les pages de son beau carnet, des esquisses, des croquis, des dessins plus aboutis.
Il lui arrivait souvent de s’imaginer ce qui s’était passé avant la scène peinte, après aussi. Il aimait s’attarder sur un détail et encore plus sur un personnage caché et le faire vivre à travers la toile. Cette fois, c’était le chat qui avait pris la malle. A une autre exposition d’art contemporain, il avait mélangé le Rubik’s cube pour en faire un joli arc-en-ciel.
Adrien pencha la tête sur son carnet et griffonna. Il laissait son crayon s’animer et donner vie à un objet, un animal, un personnage sans s’en rendre compte. La nuit, ses dessins s’échappaient du carnet pour danser autour de son corps endormi. Ils lui faisaient une jolie fête pour le remercier de les avoir créés. Lorsque le jour se levait, comme un coup de baguette magique, ils retournaient en coulisses, se glissant sur les pages du beau carnet.
Lorsqu’Adrien se levait et reprenait son carnet, il remarquait parfois qu’ils avaient changé de place ou de position. Il se frottait les yeux pour en être certain. Les croquis en profitaient pour vite se remettre comme il faut.
Adrien jouait alors avec son crayon à la main, regardant loin par la fenêtre. Son chat se frottant doucement à ses mollets.

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2 réponses à Vies d’artiste

  1. Emmanuelle P dit :

    J’adore !!! Il y a de la magie, de la chaleur. Merci Marija

  2. Marija dit :

    De rien Emmanuelle, merci à toi. Je suis contente que le texte t’ait plu.

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