Quitter la terre

  1. Mais diable, qu’allait-il faire dans cette galère ? Le carnaval est terminé, il faut embarquer, quitter la terre ferme. Pendant des mois, Quentin sera loin des siens, la boule au ventre, le mal de mer presque quotidien. Lorsqu’il avait fait part de sa détermination au père, celui-ci n’avait pas bronché. On n’échappe pas à son destin, on ne le choisit pas, à jamais c’est lui qui nous tient dans les familles de marins. Une dernière partie de dominos terminée, il a quitté le café des quais, rassemblé son courage et ses affaires empaquetées, pris la direction du port. Terre-Neuve, ces mots sonnent comme une promesse à ses oreilles. Cependant, il n’en connait que ce que les vieux racontent. Il ne sait même pas à quelle distance du vieux continent elle se tient exactement. La verra-t-il seulement ? Les tempêtes, les brumes sournoises, les hauts fonds seront autant de dangers démultipliés sur son chemin. Au quai gris, est amarrée la bisquine, elle danse doucement. Le voilà à bord maintenant, l’imagination laisse place à la réalité. Le duel avec la mer peut commencer. La marée haute porte les odeurs d’iode et de sel. Le jour pointe à peine, dans la pénombre l’air est humide et froid. Les doigts gourds, il coiffe son rude bonnet de laine bleu et va mettre son sac à l’abri dans le ventre du navire. Le bois craque. L’aventure commence là simplement. Les manoeuvres rassemblent les hommes sur le pont. Grand Louis le capitaine, ne ménage pas ses encouragements à l’équipage. Il connait bien les craintes liées au départ. Dans l’action, après, elles seront vite oubliées. Le désir de bien faire et le courage tiendront chacun. C’est le premier pas qui coûte. Le soleil commence à réchauffer, il illumine l’aurore, la coque fend l’eau turquoise en direction du large. Sur l’horizon violet, les îles Chausey sont suspendues sur une mer de satin telle une illusion féerique entre air et eau. En haut du mât, le goéland qui faisait office de vigie a pris son élan vers le nord dans un grand criaillement. C’est un mirage se dit Quentin devant le spectacle de ces îles qui apparaissent et disparaissent au gré des marées. Lorsqu’on les voit, il ne pleut pas encore ; lorsqu’on ne les voit plus, il pleut déjà.
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