L’école de mes voisins

On vient d’inaugurer ma nouvelle école : c’est la première et la seule école primaire française de ce pays. Elle est installée dans une grande maison et n’abrite qu’une seule classe où nous sommes tous mélangés, grands et petits, filles et garçons. Le banc accroché à mon pupitre est très haut, mes pieds ne touchent pas terre. La maitresse est une femme brune, courte et dodue, et quand elle se penche au-dessus de mon pupitre, elle dévoile sous son aisselle une épaisse forêt de poils noirs. Par la fenêtre, on voit se balancer les hautes ramures des arbres du jardin piétiné qui sert de cour de récréation. Le ciel est souvent pâle et bien souvent la pluie vient pleurer le long des baies vitrées. En classe, on n’a pas le droit de grand-chose : pas le droit de toucher aux encriers, pas le droit de se lever de table, pas le droit parler, et si un grand fait une bêtise, on risque une punition collective, copier cent lignes ou conjuguer à tous les temps de l’indicatif et à la forme négative des verbes comme bavarder, se chamailler ou balancer les pieds sous le bureau.

Mais aujourd’hui j’ai de la chance, je suis malade.

Dans la chambre aux lits superposés, j’occupe le lit du haut. C’est un bon poste d’observation pour surveiller ce qui se passe dehors. Le spectacle le plus curieux est celui que m’offre, juste en face, l’école publique du quartier : les élèves ne cessent de se lever, d’aller et de venir ; ils se groupent autour d’un pupitre, je les vois se parler, bien sûr je n’entends rien, mais leurs expressions ne me trompent pas, ils paraissent contents d’être là. Je sais, car j’écoute les conversations des adultes, que dans ce pays, presque toutes les écoles s’appellent montessori. Elles n’ont pas bonne presse à la maison, il paraît qu’on n’y tient pas les enfants. Ils ont du en retirer mon grand frère qui n’en faisait qu’à sa tête.

Bien des années ont passé depuis ces journées où je me prélassais au lit en buvant du sirop pour la toux à la réglisse, curieuse et pleine d’envie devant l’école de mes voisins.

Depuis, j’ai appris ce que sont les mouvements pour l’Éducation Nouvelle, qui était Maria Montessori, pourquoi elle avait pensé cette manière de faire avec les enfants, et l’utopie qui l’habitait : rendre les humains meilleurs grâce à une éducation respectueuse de chacun.

Je me retourne vers ce pays où j’ai vécu et dont les gamins d’autrefois, dans ces écoles si particulières, sont devenus des adultes, et je me questionne. Sont-ils vraiment devenus meilleurs ?

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