Avoir quitté

Dans son cœur, il cherchait le battement de son âme. Il avait tout quitté, la ville et l’argent, les siens et tous ceux qu’il ne connaissait pas encore. Ceux qu’il aurait pu aimer, ceux qu’il aurait pu écouter, ceux à qui il aurait fait entendre sa voix, cette voix qu’on disait pierreuse et douce, comme l’eau qui roule dans les cailloux et descend abreuver les vallées.
On disait : oh ! Il a osé. On pensait : Qu’a t’il donc à braver ? Lui, il avait juste obéit à quelque chose qui le projetait en avant, parce qu’en avant, il y avait quelque chose qu’il ne savait pas nommer mais qui pouvait s’appeler Liberté. C’était comme se diriger instinctivement vers la lumière. Un geste d’animal, un principe de vie contre lequel il ne pouvait s’opposer. Il lui fallait être dans cette nature. Il lui fallait être seul. Il lui fallait avoir quitté. Sa tête, depuis son départ, lui semblait vide. Vide et creuse. Rien ne s’y cognait, rien ne tambourinait. Il n’avait plus de pensées, plus de questions. Avait-il l’air idiot ? Peut-être. Seuls ses pas décidaient. Il avait faim – parfois. Soif, souvent. Alors il tournait la tête, tendait l’oreille à ce qui le mènerait à une source, à une fontaine, à un quelqu’un qui partagerait son eau, à une bête qui lui donnerait son lait. La soif étanchée, il retrouvait ce souffle invisible.
Une nuit qu’il avait trouvé un abri dans une bergerie inoccupée, il se réveilla sous la lune brillante. Par les interstices des pierres jointes, il la vit, ronde comme un soleil, projetant des ombres sur les parois des murs. Dans ces ombres, il vit les tours hautes de la ville, les clochers, les flèches et les avenues larges. En plissant les yeux, il aperçu les lumières qui scintillaient, entendit le pouls qui battait le long des trottoirs. Il vit nettement les mouvements des foules de marcheurs qui s’élançaient d’un seul tenant, puis s’arrêtaient, tournaient la tête à gauche, à droite, redémarraient. Il se leva. Il frotta longuement ses pieds, l’intérieur de ses bras, serra les mains et les détendit. Il était l’heure. L’heure de retrouver la ville, les gens, les bruits, les odeurs ; de pousser les portes, de s’élever dans les étages, d’écouter, de s’exprimer. Il ramassa son sac et sortit de la bergerie. Il s’en retournait vers un autre lui-même, un inconnu. Un homme nu.

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire