Bouche pleine et ventre rond

Il prit une énorme bouchée pour ne pas lui répondre. Il lui montrait avec ses joues pleines et gonflées qu’il tentait de mâcher vite pour pouvoir lui parler. C’était une tactique qu’il utilisait souvent et qui lui permettait d’avoir le temps de réfléchir à la question, à la discussion en cours et donc à sa réponse. Il analysait le contenu de la phrase énoncée, le ton employé, comprenait les sous-entendus. Ça lui avait sauvé la mise plus d’une fois. En plus, il en profitait pour manger quelque chose de bon.
Il la sentait fragile ce soir, dans l’attente de lui, dans l’attente de sa vie. Il sentait la pression lui monter dans la gorge et les larmes lui monter aux yeux.
Il se trouvait bien idiot à devoir avaler tout ce qu’il avait mis dans la bouche. Il lui faisait signe qu’il avait presque fini. Elle alla lui servir un verre d’eau fraîche. Elle ne lui avait jamais avoué qu’elle avait compris depuis bien longtemps son manège. Elle ne s’en offusquait pas, elle savait qu’il lui fallait du temps et aujourd’hui, elle avait pris également son temps pour lui dire ce qu’elle avait à lui dire.
Elle avait fait son maximum pour ne pas être brusque, lui amener la nouvelle en douceur. Il lui faudra avaler la pilule, s’était-elle dit, parce que, elle, elle l’avait oubliée juste une fois et qu’il allait être papa pour la première fois.
Armand avait pris une bouchée à « Armand, il faut que je te parle ».
Léa attendait qu’il avale bien, elle ne voulait pas qu’il s’étouffe et lui, de peur de ne pas avoir le temps de réfléchir à ce qui sera dit, mâchait lentement, très lentement.
Léa le regarda droit dans les yeux et sourit, l’encourageant à finir sa bouchée. Elle lui tendit le verre d’eau. Armand la regarda d’un air interrogateur mais n’ayant plus rien dans la bouche, se dit qu’il faudra bien prendre ce qui vient.
Pendant qu’il buvait, il la regardait à travers son verre et la vit mettre ses mains sur son ventre. Le regard de Léa avait suivi ses mains. Elle dit d’une voix douce : « Armand, mon corps est en train de changer », lui laissant le temps d’enregistrer l’information. Armand avala la gorgée bruyamment. « C’est-à-dire ?, déglutit-il. Tu n’es pas malade, dis ? »
– Non, non, c’est juste que mon corps change pour faire de la place à quelqu’un.
La main d’Armand rampa pour attraper une autre bouchée. Léa lui saisit la main et la posa sur son ventre.
– Armand…
Un silence se fit, d’une seconde, qui lui parut beaucoup plus long.
– Oui ?
– Armand, tu vas être papa !

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire