Coup de foudre

Les pavés encore mouillés de la nuit ne font plus résonner les pas. L’eau s’infiltre à certains endroits, stagne à d’autres. Les flaques formées ne reçoivent le reflet d’aucun visage. Les éléments se sont déchaînés : pluie, vent, orage ont appelé, crié, sifflé. En vain.
La moiteur s’installe. Il fait chaud, il fait froid. Que sortir : son ombrelle ou son parapluie ? Ce sont des questions qu’il ne se pose plus.
Son corps ne lui obéit plus et se venge de sa vie passée à travailler à genoux. L’humiliation, la tête toujours baissée, la servitude, son corps n’en veut plus. Il l’oblige à relever la tête, les yeux au ciel pour une fois plutôt qu’au sol. Son cou craque, son corps se révolte et lui dit : Cette souffrance en vaut la peine. Tu verras les sommets enneigés à travers les volets bleus.
Lève la tête. Lève la tête. Redresse tes épaules. Redresse tes épaules.
Son corps lui fait mal. Il déroule son dos vertèbre par vertèbre, il les sent s’emboîter l’une sur l’autre difficilement. Sa peau brûlée et flétrie se déride à peine. Des larmes coulent de ses yeux. Il a mal, il a peur. Il ne se reconnaît plus dans sa maigreur maladive.
Il aperçoit sa guitare trônant fière et debout contre le mur. Il tend le bras, ne l’atteint pas. Il avait toujours voulu apprendre à jouer pour chanter des sérénades. Mais pour cela, il aurait fallu qu’il lève la tête vers le balcon de sa dulcinée. Une chose qu’il n’était pas capable de faire. Il avait toujours vécu la tête baissée.
Aujourd’hui, alors que les éléments se déchaînent : le tonnerre gronde, la pluie fouette les carreaux, le vent gifle les feuilles et les branches, Emile a encore peur. Ses yeux sont perdus dans le noir. Son corps se rebelle dans un dernier sursaut. Il s’appuie sur le dossier de la chaise pour aider Emile à se rendre à la fenêtre.
Ses mains tremblent, son poignet faiblit. Emile ouvre enfin sa fenêtre, pousse les volets. La pluie l’inonde et se mélange à ses larmes. Le vent le bouscule et le déstabilise. Emile se redresse doucement et sourit.
Dans un éclair aussi soudain que vif, la foudre s’abat sur lui. Le corps d’Emile s’effondre et ne se relèvera plus.

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire