Et puis un jour…

Au milieu de sa collection, elle a choisi un chapeau avec un ruban noir, elle trouve que ça fait chic pour se rendre à un enterrement. Ce n’est pas qu’elle soit particulièrement touchée par ce décès mais elle a été élevée dans l’esprit du savoir vivre, du savoir être et cela en toute circonstance.
Le savoir vivre à des obsèques, elle sourit à cette évocation tout en posant avec soin le bibi sur ses cheveux blancs.
Elle prend son sac, met ses gants et sort de la maison. La porte claque derrière elle au moment même où elle s’aperçoit qu’elle a oublié ses clés. Elle essaye immédiatement de tourner la poignée qui bien entendu n’obéit pas à sa manipulation nerveuse.
Elle entend les premières gouttes tomber sur la marquise, elle se colle contre la porte en proie à ses préoccupations silencieuses. Ne pas perdre son sang-froid, la question qui se pose à ce moment là est de savoir si elle va quand même se rendre à ce fichu enterrement dont elle se moque comme d’une guigne. Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’elle se retrouve dans cette désolante situation. La fenêtre de la maison d’en face s’ouvre sur le visage hilare de Madeleine. Oh non, pas elle ! si elle n’était pas si bien élevée elle laisserait couler ses larmes.
Ce n’est pas seulement cette histoire de clé qui la met dans cet état, mais la semaine passée déjà elle s’était perdue dans le quartier haut de la ville, les ruelles pourtant familières s’étaient semble t’il liguées contre elle pour la déboussoler. Que lui arrivait-il ces derniers temps ? elle ne voulait en parler à personne, cela aurait fait exister ce qu’elle redoutait de nommer. Son ami Benoît aurait pu être le confident de son angoisse mais il était en voyage au Honduras et ne revendrait que dans deux mois.
Etre en perdition dans sa propre ville, se retrouver à la porte de sa propre maison, elle ne savait comment vivre avec cette terreur qu’elle sentait pousser en elle. Une graine qu’on lui aurait plantée dans le cerveau et qui croîtrait en s’accrochant à ses neurones comme le lierre sur le mur de pierre.
Madeleine est toujours là à l’observer, elle lui crie quelque chose qu’elle ne comprend pas. Elle sent les larmes rouler sur ses joues douces et ridées, elles coulent malgré elle, la pluie tombe drue, éclaboussant ses pieds et c’est à ce moment là qu’elle se rend compte qu’elle allait partir à l’église en pantoufles.

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