Etre deux

Les rideaux sont tirés, masquant la vie qui se manifeste par les fenêtres et sur les toits. Aujourd’hui, pour sortir de ses quatre murs, il n’a pas poussé le velux pour s’échapper sur le toit. Il hésite. Hier le soleil lui avait tendu les bras mais aujourd’hui, elle est près de lui. S’évader par le haut, lui fausser compagnie alors que toute la semaine, elle part braver l’invisible, ganter, masquer, lunetter, il sent que ce serait la gifler d’indifférence et, bien que ne disant rien, elle souffrirait de cet évitement. La pièce est étroite, cernée de livres, de plantes, d’objets ramassés ici et là, au fil des voyages, des vides greniers, des récupérations dans les maisons de famille. Tous sont très présents, laissant peu de place à la vie, aux mouvements. Il en prend conscience, là, maintenant alors qu’elle peine à trouver une place sur le canapé. Il se lève, va vers la cuisine, revient avec des verres, une carafe. Il rapporte dans la cuisine des assiettes, des plats. Il bouge, il n’arrête pas de bouger. La fenêtre qui donne sur le mur d’en face lui oppose une fin de non-recevoir à tout indice de vie, pas de mouvements perceptibles, rien qui ne puisse pénétrer à l’intérieur. Peut-être devraient-ils sortir un peu, marcher dans les rues, découvrir celles où lui ne va jamais, toujours pressé d’aller directement au but. Il la regarde, il s’interroge, je lui propose, oui, non. Aura-t-elle envie de sortir ou préfère-t-elle rester là, avec lui ? Elle semble grelotter, enfoncée dans les coussins. Lui commence à sentir ses pieds s’engourdir dans ses baskets. Depuis des jours, il ne fait que lire, écrire, les yeux rivés sur son écran. Peut-être aurait-il mieux fallu qu’ils prolongent leur rituel quotidien, s’appeler tous les soirs, juste avant de se coucher pour échanger sur la journée qui venait de s’écouler, sur ce qui les attendait le lendemain. Elle est là, face à lui. Il a le sentiment que ce qui les relie, est aussi léger et fragile que de la paille que personne n’a eu le temps ou la volonté de tresser. Il se sent déconcerté, dépourvu de la capacité de réagir, à entreprendre quelque chose. Une pointe d’irritation monte en lui. Elle non plus, elle ne dit rien. Elle aussi, elle pourrait suggérer quelque chose. Mais il reconnait également qu’il fait preuve d’une certaine mauvaise foi. Il sait bien qu’il a des difficultés à accepter ce qu’elle lui propose, elle et les autres d’ailleurs. Il lui faudrait changer s’il veut éviter de faire le vide autour de lui quand son intransigeance prend le dessus. Alors, il se lance : qu’est-ce qu’on fait ?

Ce contenu a été publié dans Atelier Papillon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire