Le rhume ne m’empêche pas d’inhaler l’odeur de la terre et des feuilles en décomposition. A hauteur d’yeux, 50 nuances d’or parent les arbres, grands et petits, du parc voisin.
Rosine m’appelle :
– Alors, la ch’tiote, qu’est-ce que tu bouines aujourd’hui ? Je ne t’ai pas dit, mais le père Donald, il est colère !
– Mémé, de qui parles-tu ? Il y a des Américains dans ton trou perdu ?
– Mais non, bécasse, c’est la trompe ! Tu sais, le gars qui pique le fond de teint de sa femme ! C’est marrant, l’expression « il est con, c’est garanti grand teint » lui va à merveille. Mieux que des bretelles à un pigeon…
– Mémé ! Tu sais de qui tu parles ?
– Arrête ! Non mais quoi, tu crois que je n’écoute que Maurice Chevalier sur un poste TSF ? Tu crois que je passe mon temps à attendre ton grand-père en tricotant des chaussons pour les arrière-petits-enfants que tu ne veux pas me faire ? Non, mam’zelle. Moi, je sors marcher avec mes copines et après on se régale de châtaignes grillées. On ne se laisse pas mourir, nous.
– Tu développes, s’il te plaît ?
– Non, j’ai dit ce que j’avais à dire. Et mes yeux derrière la tête, je me les garde !
Je n’imagine pour rien au monde ma grand-mère en chaussures de rando dans la terre boueuse, ni en train de jacasser avec des amies. C’est le grand-père qui règne sur la maison. Les soupers sont entrecoupés des « Tais-toi et mange » de Rodolphe. Seule l’aspiration du potage doit-être entendue. Plus elle est bruyante, meilleure est la soupe.
Rosine a quand même un jour tenté de soumettre à Rodolphe un chocolat chaud et une tarte au potiron. Sacrilège ! Il a cru que la tarte se trempait dans le chocolat, la boisson des jeunes. Ce n’est plus de son âge.
Qu’arrivait-il donc à son épousée pour qu’elle ose sortir des traditions : soupe aux vermicelles, haricots verts tièdes et poulet bouilli ? Pour faire avaler du potiron au grand-père, il faudrait attendre que les poules aient des dents, ou bien qu’il ne soit enseveli sous un large pot de chrysanthèmes.