La douche

« Prendre sa douche : action qui consiste à concrétiser un ensemble de gestes nécessaires à la bonne exécution de cette routine. Au choix, vous pourrez avoir dans la main droite un savon oblong, et dans la main gauche un gant de crin. Une tolérance est accordée aux sinistres gauchers (les pauvres) qui auront saisi dans leur main gauche un gel douche aux fragrances fleuries, et dans la main droite rien du tout. Il est suggéré aux individus de sexe masculin de privilégier les ambiances boisées dans le choix du gel adapté au maintien de leur virilité.

Si cette définition a répondu à vos questions, vous êtes invités à mettre en application les préceptes ci-dessus. Si vous n’avez pas compris, il vous est conseillé de relire une seconde fois.

Si au bout de cette nouvelle lecture, vous ne comprenez pas comment prendre une douche dans les règles de l’art, vous pouvez au choix rester crade et puant, isolé dans un coin, ou bien louer un cerveau. Consultez le site rentabrain.com. Vous pouvez choisir les caractéristiques des neurones : appartenant à une jolie blonde, un beau brun, un scientifique manchot, un poète, un humaniste érudit. »

J’ai compris le message. Chaque matin, je suis réveillée par un message de BitchBrother sur le grand écran qui tapisse le mur face à mon lit. Lorsque j’ai reçu les clés, j’ai dû signer un contrat nourri de multiples clauses de bonne conduite. J’ai accepté une caméra dans la pièce principale, un écran devant le lit. Mon voisin m’a fait passer un papier sous la porte. Un mécanisme vérifierait les mouvements oculaires. Si je ne lis pas, ma note de probité est dégradée.

C’est mon premier matin dans la résidence. Je vais prendre une douche. Je passe la porte de la salle de bain, lève la tête. Micro ? Caméra ? Je ne sais pas. Les murs sont tapissés de miroirs qui me renvoient une image que je peine à reconnaître. Des bleus ont apparu sur mon dos. Des tâches brunes couvrent mes bras. Pourtant, je n’ai mal nulle part.

J’ouvre la cabine de douche. Un savon m’attend. Je le saisis et le porte à mon nez. Menthe citron. Aucun robinet en vue. J’attends comme une imbécile, le savon dans la main droite. Une voix métallique prononce « Le gant ». Je regarde autour de moi. Je l’aperçois ; il est là, entouré de soies dures. Il va m’arracher la peau, me dis-je.

Un filet d’eau tiède commence à couler. Il s’amplifie et se réchauffe. Une vapeur dense inonde la pièce, je peine à respirer. La voix poursuit : « Le gant. Frotte ». Je m’exécute, des lambeaux de peau tombent dans le bac de douche. L’eau devient soudainement très froide. La voix répète : « Le gant. Frotte encore ». Je cherche une poignée dans la cabine. Rien, je me sens coincée dans ce sarcophage aquatique. L’eau devient brûlante, et mes plaies m’arrachent des hurlements. Brutalement, l’eau cesse de couler. Sont-ce mes cris qui ont servi d’interrupteur ?

La cabine s’ouvre. Je m’enveloppe dans une épaisse serviette. Je regagne la chambre. Sur le lit, il n’y a pas que la combinaison réglementaire qui m’attend.

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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Une réponse à La douche

  1. Marija dit :

    Que c’est flippant !
    Moi qui adore les douches, malgré Psychose !, je n’aurais jamais pensé en faire un instrument de torture.
    Bravo pour ton imagination. D’ailleurs, j’espère bien que c’est de l’imagination et pas du vécu !
    Ça oscille entre télé-réalité et lieu d’enfermement expérimental ou non (hôpital psy à cause de la combinaison réglementaire de la fin, prison ?)

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