La mutation

Quelque chose a changé dans son quotidien. Le 2 janvier, il avait enfilé la chemise bleu pâle que lui avait offerte sa voisine. La cravate « Super Tonton » de Zoé avait égaillé la tenue sobre. De quoi faire bonne impression devant ses nouveaux collègues. Désormais, c’était lui le chef. Sous ses ordres, 4 jeunes développeurs Web qui allaient devoir rentrer dans le moule des méthodes imposées de la firme.

Quelques semaines plus tard, les téchos semblaient préparer Halloween, la visage couvert d’un masque au tissu bariolé du sourire du Joker ou des dents de Dracula.

Puis vint le jour où un mot nouveau entra dans sa vie : télétravail. Il a fallu organiser des réunions à distance, exiger la tenue des délais, et répéter souvent, si souvent, trop souvent maugréaient ses boys, que dans « télétravail », il y a « travail ».

Ses journées n’ont plus la régularité de janvier. Il passe plus de temps à sa fenêtre, torse nu, accoudé à la fenêtre, une énième cigarette entre les doigts. De là, il observe sa douce voisine, lisant dans le soleil derrière sa fenêtre. Il baisse la tête et observe amusé un gars devant la porte de l’immeuble. Le type jette furtivement un regard sur sa droite, sur sa gauche. Un dealer désœuvré qui pense à son manque à gagner, pense-t-il.

C’est l’immeuble d’en face qui offre le plus de spectacle ; au premier, une jeune fille lit, encore une, un livre sur son canapé. Est-elle habillée, s’interroge-t-il ? Au second, il aperçoit Paul parcourir son couloir en courant, tandis que son chien renifle l’air frais sur son balcon.

Enfin, son œil se fixe sur le jeune couple récemment arrivé. Le camion de déménagement s’était garé dans la rue en février. Quelques mètres les séparent, il sort prendre son café sur l’échafaudage resté désert, elle bronze en maillot assise sur le rebord de la fenêtre de sa chambre de bonne. L’observateur s’arrête sur ses jambes fines et hâlées.

Il lève la tête, et le silence des nuages absents du ciel très bleu le surprend. La luminosité révèle les toits de zinc et d’ardoise. Au loin, s’il se contorsionne un peu, il admire le grand marronnier qui a retrouvé un feuillage vert tendre.

Pris dans ses observations méditatives, il oublie la sonnerie émise depuis un aquarium. Ah non, c’est Skype. Il regarde sa montre : Sun 05.04.2020 16:19. Dimanche. Le télétravail s’arrête-t-il ce jour-là ? Il ne s’est même pas posé la question. Les injonctions soulignent le besoin de s’impliquer. La sonnerie cesse. Une erreur…  sourit-il.

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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