Le Ballon Rouge

Elle aimait le bruissement de ses vêtements lorsqu’elle les enfilait. Elle tendait l’oreille pour savoir ce qu’ils lui racontaient. Souvent, ils émettaient des hypothèses pour la journée qui commençait à peine.
Le printemps s’était installé et Camille adaptait son habit à la saison, un coquelicot glissé sous son oreille gauche pour indiquer qu’elle était célibataire, un hippocampe au bout de sa chaîne dorée pour signifier qu’elle était Cheval d’eau. Qui connaissait vraiment ce langage ? Elle ne le savait pas mais espérait que son message serait compris par le témoin de son amour à venir.
Elle chaussa ses talons hauts, se mit du rouge à lèvres sans dépasser sur les bords. Camille était coquette. Elle prenait le temps pour se trouver jolie. Certains matins, elle avait battu des records pour sa mise en beauté.
Aujourd’hui, elle avait décidé de s’attacher les cheveux pour dégager son doux visage ovale. Elle s’était peu maquillée. Ce soir, après le travail, elle avait rendez-vous dans un café, Le Ballon Rouge, pour une dégustation de vin réservée aux célibataires. Elle n’aimait pas le vin mais elle cherchait un célibataire. L’homme de sa vie était absent depuis bien trop longtemps. Camille se donnait les moyens pour qu’il soit omniprésent en écumant bars et sites de rencontres.
Elle passa sa journée à rêvasser. L’écran de son ordinateur s’était mis en veille et des bulles multicolores y dansaient, rebondissaient d’un côté à l’autre de l’écran puis s’éclataient en un ploc délicat qui ne la sortait pas de sa rêverie, bien au contraire.
De temps en temps, pour faire bonne figure, elle survolait ses dossiers, histoire de dire qu’elle avait fait quelque chose de sa journée. Elle avait repris des points clés et développé un peu. Brasser du vent, elle ne savait pas trop faire mais elle essayait quand même. Elle ne voulait pas offenser son chef en ne faisant rien aujourd’hui même si, et il le savait bien, elle avait enchaîné les heures sup ces derniers temps.
L’église à côté de son travail sonna la fin de la journée. Elle se fit un raccord maquillage, repassa ses vêtements du plat de la main. Elle se recoiffa aussi.
Elle arriva devant la porte du Ballon Rouge. Elle n’osa pas pousser la porte. Elle se dit que ce n’était vraiment pas le moment de faire un flan. Tout ce tintouin pour rester finalement devant la porte.
Elle fut brutalement sortie de ses pensées par le serveur qui voulait passer, son plateau plein de ballons remplis de vin rouge. Du Bordeaux, annonçait-il. Camille en prit un, regarda autour comment il fallait faire : humer le vin, faire tourner le verre pas trop fort pour ne pas renverser et se tacher. Elle vit des gens prendre une gorgée, faire des gargarismes puis cracher dans une poubelle à côté. Son visage prit un air de dégoût.
Elle se demandait si cet effort en valait vraiment la peine quand elle entendit quelqu’un lui chuchoter : « Je vous offre un verre ? » Camille se tourna et rougit. Le temps était suspendu. Elle en lâcha son verre plein. Il fallait bien qu’elle n’ait plus de verre pour qu’on lui en offre un ! L’attraction était indéniable et réciproque.
Le soir, quand elle retira ses vêtements, leur bruissement avait beaucoup de choses à raconter. Un débrief du premier jour du reste de sa vie.

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2 réponses à Le Ballon Rouge

  1. Emmanuelle P dit :

    Magnifique, Marija ! Très délicat, beaucoup de finesse ; Camille suscite beaucoup de sympathie.

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