Le mouvement de l’insulte

Charlie portait un pull rayé blanc et rouge et un pantalon noir. Sa tenue était prête, restait son maquillage. Tous les soirs, son miroir lui renvoyait une image difforme et lui, avec ses outils de magicien, il en faisait un idéal. Base de maquillage blanche. Sourcils redessinés exagérément. Sourire rouge assorti à son pull.
D’un côté du miroir, était collée l’affiche du spectacle « Le mouvement de l’insulte », de l’autre, Charlie avait glissé un dragon sur le mur, son animal totem.
Chaque soir, il bataillait contre l’instabilité de sa moustache qui ne se fixait pas bien sur son maquillage gras et luisant. Charlie profitait de ces quelques minutes de transformation. Le rendu devait être magnifique aussi bien que démoniaque. Pour son rôle bien évidemment.
Le metteur en scène venait taper à sa loge un quart d’heure avant le début, un petit rituel qu’ils avaient mis en place tous les deux pour se porter chance. Chaque soir, le metteur en scène s’exclamait : « Incroyable, c’est dingue ! ». Parfois, c’était pour souligner combien le maquillage était réussi ; parfois, c’étaient ses seuls mots pour annoncer une salle pleine.
Ce soir, Charlie sourit mais son cœur est triste. Il a envoyé des dahlias à sa bien-aimée. Elle lui avait renvoyé des moutons de dahlias, en gros, elle lui avait rendu son bouquet découpé, déchiqueté, en boules comme des moutons de poussière. Charlie n’avait pas compris cet acharnement. Elle avait toujours dit qu’elle adorait les fleurs.
Amandine avait jeté les fleurs, marché dessus. Elle avait pris le sécateur et bousillé le bouquet de dahlias. Elle lui avait renvoyé dans cet état pitoyable. Pourquoi avait-elle fait cela ? Elle ne savait plus très bien. Elle creusa et se plongea dans l’infini de sa mémoire. Cette séance d’autohypnose ne lui révéla rien. Enfin, rien de concret. Seulement des flashs, des images, des paroles, des insultes, des bris. C’était extrêmement déroutant.
Amandine n’avait aucune idée pouvant expliquer son geste. Elle essayait par association, elle tentait par dissociation. Elle faisait pourtant preuve d’intelligence selon elle. Elle déployait un nombre de ressources extraordinaires.
Elle cherchait la source de ce désarroi. Une masse d’information lui venait à l’esprit. Elle chassait les intrus qui n’expliquaient en rien le massacre des dahlias.
Charlie avait dessiné une larme sur sa joue, disproportionnellement grande pour qu’Amandine la devine du premier rang. Pour lui, c’était l’insulte suprême : tu me rends triste. Il avait beau décliner un nombre de noms d’oiseaux d’hier et d’aujourd’hui, son mouvement de l’insulte se terminait par un point final : une larme dessinée sur sa joue.
Amandine était arrivée en retard au spectacle. Elle avait perdu le fil du temps à chercher à comprendre. Aurait-elle eu la même réaction si Charlie lui avait envoyé des iris ? Peut-être. Peut-être pas. Elle se souvenait pourtant lui avoir dit qu’elle aimait les fleurs…
Amandine avait le regard ailleurs, elle connaissait le spectacle par cœur. Elle était effondrée, engloutie par la densité de ses émotions.
Elle se ressaisit un court instant pour croiser le regard de Charlie. Elle vit sa larme. Elle lui murmura « Pardonne-moi ».

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