Les souvenirs

Léon, Anna, Noël, sa sœur avait toujours aimé jouer avec les mots. Du haut de l’escalier, elle lançait ses appels. Mais aujourd’hui, plus personne ne répond. Les sons ne rebondissent plus sur le chêne des marches et de la rampe. Les deux sœurs se regardent, les frérots ont préféré rester en ville plutôt que venir à la campagne, et ça, depuis que leur père et leur mère ne peuvent plus vivre dans la maison. A la chaleur du bois, a succédé le froid du métal, le fer qui vous glace les doigts quand vous poussez le portail, le fer qui fait grincer les gonds grippés à force de rester figés. Les voix se sont tues et maintenant elles chuchotent comme si leurs paroles risquaient de chasser les souvenirs heureux, les images et les odeurs accrochés à tous les pores de leur peau. Plus de bonne fée pour ouvrir les portes, les fenêtres et les placards, allumer le feu et faire chanter les yeux. Sans même quitter leur manteau, les sœurs déambulent d’une pièce à l’autre, s’assurant que la poussière n’a pas recouvert les meubles et les bibelots, que l’odeur de la cire n’a pas été vaincue par celle de l’humidité. Telles deux veilleuses, elles s’assurent que tout est intact et que si, si…. Si tout pouvait recommencer, si on pouvait remonter le temps et s’en retourner sur le chemin de l’enfance, de l’insouciance, le chemin de la lumière, du soleil, des chants et des rires. Un chemin où rien ne viendrait vous perforer le cœur et l’âme, un chemin sans regret ni souffrance. Elles n’échangent pas un mot. Pensent-elles la même chose ? Elles ne prennent pas le risque de faire remonter les émotions. La main de l’une effleure le fauteuil en cuir, la main de l’autre réajuste les doubles rideaux, devenus rigides, gardiens de fenêtre qui ne laissent plus passer le soleil. Elles se regardent. Vont-elles aller à la cave ? La clé est toujours accrochée dans le hall, près du porte manteau. Une main se tend, hésite. Faut-il descendre ?

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