L’homme en colère

Comme presque tous les jours, il est en colère. Il n’est pas levé depuis une heure que déjà il s’énerve. Son café est trop chaud, puis trop froid et de toute façon pas assez fort. Les informations à la radio sont aux mieux inquiétantes, au pire carrément flippantes. Crise sanitaire, crise économique, catastrophes environnementales aux quatre coins du globe, rien de rassurant. Il s’apprête à aller faire son tour sur la plage mais il n’arrive pas à mettre la main sur son pull marine bien chaud, son pull de marin, son fils a encore du lui emprunter sans lui demander. Il paraît que le style « vieux loup de mer » est à la mode. Ca aussi, ça l’énerve, la mode, ce phénomène qui fait que d’un coup, parce qu’un parisien l’a décidé lors d’un défilé, ce qui était sans intérêt, voire franchement ringard, devient tout à coup branché. C’est comme ça que le cours du pull marin s’envole et c’est comme ça que le dit pull marin se retrouve sur les épaules de son fils, sans permission. Et ça l’énerve, encore.
Il va mettre son pull irlandais, toujours dans son armoire, pas encore à la mode, pas encore au goût de son fils. Il enfile ses bottes, son manteau de pluie et il sort. Il fait encore nuit, la lune est claire, il respire l’air froid et chargé d’embruns et il part en direction de la plage.
Il est perpétuellement en colère depuis que sa femme l’a quitté, depuis qu’elle les a quitté, lui et leur fils. Comme ça, du jour au lendemain, elle s’ennuyait dans leur vie sans joie, dans leur vie où le sable et la mer prenaient toute la place. Enfin c’est ce qu’elle leur a écrit sur une page déchirée d’un vieux cahier, même pas une jolie page, même pas un « pardonnez moi », pas l’ombre d’un remord. Juste une vulgaire feuille déchirée, tachée de gras, pour tirer un trait sur leur vie à tous les trois.

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