Ma voisine du 3e étage

Mon chien est comme moi. Il a besoin d’air et de mouvement. Lui, c’est plutôt l’air qui lui manque ; moi, le mouvement. D’habitude, on sort ensemble trois fois par jour. Au début du confinement, c’est ce qu’on a fait. J’imprimais trois fois le formulaire et trois fois on sortait prendre l’air et se dégourdir les pattes. Mais cette satanée voisine du 3e étage a repéré le manège. Elle a du flair pour les irrégularités. C’est comme ça qu’elle contrôle le temps de ménage de l’employé d’immeuble ; qu’elle affiche les règlements. Enfin, bon, je ne vous fais pas la liste. Simplement, la dernière fois que je sortais pour la troisième fois, elle m’attendait à sa fenêtre. En fait, elle m’a cueilli.
Troisième sortie, monsieur Laurent, et ce n’est pas la première fois. Elle était contente d’elle ; ça se voyait. Je me suis pincé pour ne pas lui aboyer dessus. Je me suis gratté la tête et, d’un regard, j’ai montré mon chien :
Il est malade le pauvre. J’ai pas trouvé mieux.
Ah oui ? elle m’a demandé d’un air de vouloir en savoir plus pour me coincer.
Des désordres digestifs, j’ai dit. Et puis j’ai stoppé là. Vu qu’elle allait rester sans bouger à m’attendre, j’ai pas osé me pointer une heure après. On a fait court : trois fois le pâté de maison en courant et puis je me suis résolu à rentrer. Bongo, elle m’attendait… à sa fenêtre. On est remontés sans un mot.
Là-dessus, mon imprimante est tombée en panne. Alors recopier le formulaire en trois exemplaires tous les jours, ça a fini par limiter mes sorties. J’ai vu sur YouTube qu’un Chinois a couru un marathon chez lui.
Et ben voilà, je me suis dit. Le couloir, mon grand, le couloir ! Depuis, je le parcours. Je le parcours pendant une heure d’un trait, le podomètre à la main. Mon chien, non. Lui, il préfère renifler l’air frais sur le balcon. Et les quelques fois où je suis sorti, ces derniers jours, je n’ai plus vu ma commère à sa fenêtre. Alors je me suis surpris à m’inquiéter.
J’ai sonné à sa porte, personne. Alors là, je me suis plus qu’inquiété. J’ai resonné plus fort et plus longtemps et puis j’ai entendu des petits pas approcher. Et une toute petite voix :
C’est qui ?
C’est moi, j’ai dit. Vous savez, votre voisin avec le chien qui sort d’ailleurs beaucoup moins…
Ah ? a répondu sa voix engourdie.
Ça va ? j’ai demandé.
Pas trop. Je grelotte.
Je ne savais pas trop ce qu’il fallait que je propose. J’ai demandé avec un peu d’hésitation :
Vous croyez que vous l’avez ?
– Si j’ai quoi ?

Alors là, je savais plus comment faire. J’ai bégayé :
Ben… Vous savez, le truc, là, que tout le monde attrape…
On ne peut pas dire qu’elle lisait dans mes pensées. Après un blanc, elle a toussoté et elle a ajouté :
C’est un petit rhume, je crois…
On a convenu qu’on allait s’appeler. On s’est échangé les numéros.

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