Paris-Brest

Paris Brest

Et si je mangeais ce Paris-Brest ? J’en rêve depuis samedi après-midi. Pour ça il faut que je sorte de chez-moi, que je descende les escaliers et que je marche jusque chez le boulanger. Puis il faudra que je revienne, ouvre ma porte avec mes clés. Mais pourquoi ça me paraît insurmontable ? Où est passée la gourmande qui peut marcher pieds nus sous la pluie pour s’acheter un gâteau ? Je ne me comprends pas moi-même.

Je décide de reprendre mes esprits sur mon balcon. J’ouvre délicatement ma baie vitrée, m’assied sans faire grincer le transat, pose mon téléphone sur la chaise. Ça fait un petit claquement immédiatement suivi d’un cri strident : Caroline !!! Merde, elle m’a entendue, Mme Durand, ma voisine. Et là je réalise pourquoi je ne veux pas sortir acheter mon Paris-Brest. Parce qu’elle va me harponner à la sortie puis à la rentrée de mon appartement. Et là je réalise que ce n’est pas normal que je suspende ma respiration quand j’arrive sur mon balcon. Je marche, je mange, je respire en apesanteur. Mes gestes sont les gestes d’une geisha qui ne veut pas troubler le silence. Mais bordel de merde, je ne suis pas une geisha et je suis chez moi. Je n’ose plus passer l’aspirateur car elle commente mes actions tel un commentateur sportif.

Tout à coup je me vois balancer Mme Durand par-dessus son balcon et attendre le moment où son corps fera « floc » dans le jardin. En attendant elle s’époumone. Elle ne sait pas parler, elle gueule. : Caroline, excusez-moi de vous déranger mais je voulais vous demander. Il faut que ça s’arrête et maintenant. Prise d’un élan de colère, gonflé par l’accumulation des intrusions, je lui réponds : vous me faites chier Mme Durand ! Gros silence sur le balcon d’à-côté. Je reprends : vous me foutez la paix, je vous interdis désormais de m’interpeller sur mon balcon ou quand j’ouvre ou ferme ma porte. Ça suffit. Fichez moi la paix. 2e gros silence. Ça se passe mieux que je ne pensais. Ça ne dure pas. Un grand cri : « espèce de folle, vous êtes complétement folle, il faut aller voir un psy. » Je rentre, claque la baie vitrée et fouille dans mon appartement à la recherche de ma natte de plage. Je ressors sur le balcon et fixe la natte sur la vitre qui nous sépare. : Salope, je vais appeler la police. La voilà lancée dans ses élucubrations préférées : le monde m’en veut je vais me venger.

Et bien voilà c’est le moment d’aller le chercher ce paris-Brest. J’en profite pour faire une balade et revient une heure plus tard avec l’objet de ma convoitise. La police est au pied de l’immeuble. On vérifie mon identité et on me laisse rentrer chez moi. Que se passe-t-il ? mystère. Arrivée à mon étage, il y a les pompiers et la police. Là j’entends une voix : c’est elle, c’est elle qui l’a tuée. Surgit alors la responsable de la copropriété, une Mme Durand en plus jeune. La police m’entoure aussitôt. Que se passe-t-il ? Mme Durand est tombée du balcon. On vous a vue la pousser. Je suis sidérée, stupéfaite, interloquée. Bref je n’en crois pas mes oreilles. D’où venez-vous ? A quelle heure avez-vous quitté votre domicile ?Je leur raconte ma vie. Mais Hélène recommence à vociférer : je vous dis que c’est elle, je l’ai vue ; elle s’est disputée avec Mme Durand.

La police m’emmène sur mon balcon et je constate que ma natte gît au sol. Je m’exclame en me penchant pour la ramasser : mais comment elle a pu tomber ?! Quoi ? dit le policier. Et bien ma natte, elle était accrochée avec deux pinces. Les deux policiers se regardent, me demandent de raconter ce qui s’est passé, pourquoi la natte. Redemande à quelle heure je suis sortie. Je me souviens alors que j’ai payé mon Paris-Brest avec ma carte bancaire et sur le ticket il y a l’heure. C’est alors qu’un témoin se manifeste de l’autre côté de la cour. J’ai tout vu s’exclame-t-il. Vous avez vu Madame pousser sa voisine dans le vide ? Mais non !!  La dame est grimpée sur une chaise, elle tendait le bras vers la séparation, elle a perdu l’équilibre et elle est tombée. J’ai appelé les pompiers tout de suite. Le mystère s’éclaircit et un policier dit : c’est pour ça qu’elle avait une pince dans la main.

Hélène continue à s’époumoner : c’est elle, je l’ai vue, assassin. Le policier s’agace : ça suffit Madame, vous n’avez rien pu voir d’où vous étiez et on a un témoin. Vous vous calmez ou ça se finira en diffamation et faux témoignage. Tout le monde lève le camp et alors je réalise que je vais pouvoir savourer mon gâteau dans le silence. En plus il fait beau. Bon d’accord ma voisine est morte, mais après-tout, elle était vieille.

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