Puis le silence

Je collais l’oreille contre le téléphone. Puis le silence envahissait ma tête, et l’angoisse me comprimait le cœur. Mémé ne répondait plus. Elle m’avait prié de répondre à sa quête de sens. La semaine dernière, j’avais tenu ces mots : « Je te promets de lutter contre ta solitude et t’écrire si tu ne peux plus parler ni écouter. ».

La peur abyssale du jour où je ne l’entendrais plus me raconter ses 400 coups m’entraîne à enfourcher ma bicyclette, couverte d’une cape anti-pluie, courir jusqu’au deuxième étage, ma besace emplie des lettres pourpres que j’ai rédigées dans la nuit. Essoufflée, je tambourine à la porte. Puis le silence assomme l’écho de les coups. Je fouille mes poches sous cette satanée cape. j’introduis la lourde clé, tourne la poignée. Mémé sous yeux est à quatre pattes. Je me précipite. « Mémé, ça va ? ». Elle pointe les doigts vers ses oreilles. Sur la table, les prothèses auditives s’impatientent. Je les aperçois, embrasse ma grand-mère sur les deux joues, et lui tends ces accessoires indispensables. J’ai l’impression que mon cœur serré se dilate. Je gémis, à l’intérieur. Devant elle, je me montre solide, et je chasse comme je peux la pensée qu’elle pourrait se taire à tout jamais.

Elle n’a pas changé, et a déjà repris le fil de notre dernière discussion. « Ton frère Alban me donne des nouvelles au goutte-à-goutte. Tu sais qu’il travaille chez Rocsalière ? Ils sont tous infréquentables dans cette famille de bourgeois ! La fille du patron offre ses charmes à tous les ouvriers… Si, si, c’est madame Michalon qui me l’a dit… Penses-tu, elle tient le… la soucoupe – c’est comme ça qu’on dit ? – de madame Legrand, celle qui habite en face de l’usine. »

Puis le silence ne se fit plus.

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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Une réponse à Puis le silence

  1. Marija dit :

    Merci Emmanuelle pour ce changement d’ambiance, de cette montée de tension qui s’effondre dès les premiers mots de la grand-mère. La vie reprend son cours du moment qu’on entend mieux 🙂 Faut-il avoir besoin d’entendre pour parler ? En tout cas, la grand-mère a besoin d’entendre les potins pour les répéter !

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