Raymond

Dans ses cartons, Raymond avait retrouvé son beau blouson en cuir. Enfin, beau était un bien grand mot pour ce qu’il avait sorti, défroissé, dépoussiéré. Raymond enfila un bras mais n’arrivait pas à enfiler l’autre bras. Raymond n’avait plus son corps d’athlète, ni sa gueule d’ange. Même son regard noir qui faisait tomber les filles avait perdu de son éclat.
Des yeux de Raymond ne jaillissait plus aucune détermination. Sa moto croupissait, complètement désossée, au fond du garage.
Les années 60 étaient loin derrière lui. C’étaient des années folles pour lui. Des années où tout était possible : draguer les filles, partir en virée à moto, jeter des pavés, pas dans la mare mais dans la tronche des gens en face, ceux qui représentaient l’autorité, l’uniforme, la rigueur, le monde d’avant.
Raymond avait pris trente ans pour homicide volontaire. Il avait éclaté le crâne d’un gars à peine plus vieux que lui lors d’une manif.
En prison, pour s’occuper, les mâtons leur avaient refilé des machines à coudre. On leur disait : vous allez voir quand vous sortirez que ce n’est pas qu’un truc de fille. Vous feriez bien de vous y mettre parce que le monde de demain va vous exploser à la gueule. Il vaut mieux vous y préparer.
Raymond était sorti plus tôt, pour bonne conduite, vingt ans au lieu de trente. Il a vu naître le Sida, la pop fluo, l’insouciance et le sentiment d’être invulnérable.
Raymond savait pourtant que ça ne durerait pas. Ils laissaient cette nouvelle jeunesse jubiler, s’amuser, chanter, danser, se droguer parfois. Il leur disait : ne soulève pas de pavés et surtout, si jamais tu décidais de le faire, ne l’envoie jamais à la tronche de quelqu’un.
Personne n’écoutait Raymond. Chaque génération a sa révolution. Raymond l’avait compris bien évidemment. Il aurait juste aimé que les révolutions d’avant servent à quelque chose et que les révolutions futures soient des avancements, pas de nouvelles tranchées.
Raymond n’arrivait toujours pas à dormir. Chaque nuit, le visage qu’il avait explosé dans sa jeunesse lui revenait en pleine face. Le sang, la boue, les yeux exorbités, autant de couleurs qui le hanteraient jusqu’à son dernier souffle à lui.

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