Rêver tout haut

Dernier étage, sous les toits. Il pleut fort. Il ne pleut plus. Ouf ! On est montés sur le toit et on s’est mis à rêver tout haut. On crie, on hurle, on donne du coffre et on attend que l’écho nous réponde.
Je rêve de monter les marches une à une, de sentir mon pied nu sur la pierre à chaque ascension.
Je rêve d’eau fraîche pour étancher ma soif, pour étouffer ma peur, pour retrouver le lièvre.
Je rêve de pouvoir te dire ce qui m’a fait courir vers la maison de mon enfance et qui m’empêche de vivre aujourd’hui.
Je rêve d’un bocal plein de bonbons, de mes mains qui collent. Je rêve que je l’ai pris dans le rayon aux yeux de tous, que je suis partie la tête haute, un pied de nez au vigile.
Je rêve d’algues, de roseaux, d’herbes hautes, d’une eau boueuse vaseuse. Je rêve qu’elle me sauve et qu’elle ne m’engloutisse pas. Je rêve de liberté, de fraternité.
Je rêve que ma voisine me voit et que par mon regard, mon regard seul, elle n’ait plus besoin de ses boîtes de médicaments et de son flacon de fleurs de Bach.
On a tous crié, on a tous hurlé, on a tous donné du coffre. Le poids de nos rêves est lourd. Oh la la ! Le toit fuit. Nos rêves débordent, ils s’enfuient, ils coulent, ils collent, ils gagnent du terrain.
En bas, dans la cour, les vieux jouent aux dés. Ils laissent faire le hasard. Un 7, ils gagnent un an de vie ; un double, ils gagnent cinq ans de vie ; un 13, ils perdent 10 ans. Ils ont peur de faire un 13. On leur crie du toit percé : c’est pas possible de faire un 13 avec deux dés. C’est pas possible de faire un 13.
Ils ne nous entendent pas, ils gardent les yeux fixés sur la feutrine verte et jettent le nombre d’années qu’il leur reste à vivre.
Je rêve de lettres pourpres, incandescentes. Je rêve de gagner l’amour par le dépôt d’une enveloppe cachetée.
La pluie reprend. On se laisse baigner un peu puis on rentre.
La pluie n’efface pas nos rêves. Ils ont été lancés, ils ont été entendus. La pression de notre rythme cardiaque s’aligne sur le rythme de la pluie battante.
Je rêve de toi mon amour. Je rêve de toi toujours. Notre amour est là, bien là. Il brunit, il rougit, il rosit, il prend toutes les couleurs de l’arc-en-ciel qui relie les toits.

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