Virée

– C’est pas par là ! Tu comprends vraiment rien !
– Mais si, regarde, c’est par là la mer.
– N’importe quoi. Il fallait prendre la voie du milieu et sortir après la troisième bitte d’amarrage.
– Change de ton, s’te plaît, parce qu’on voit la mer avant de voir la troisième bitte, non ?
– Franchement, tu joues avec les mots. C’est quand même ton pote d’enfance qui nous a donné les instructions, le chemin à prendre.
– Laisse Bernard en dehors de tout ça !
– Ben, c’est un peu compliqué parce que c’est chez lui qu’on va. Donc il ne peut pas vraiment être en dehors de tout ça.
– Caroline, tu commences à me prendre la tête, là ! Bernard, c’est le sang, c’est la chair de ma chair.
– Ah bon, c’est ton frère ?
– Non, mais c’est tout comme.
– Ecoute Patrick, je fais déjà l’effort de t’accompagner dans ce trou paumé pour voir ton pote, soi-disant ton frère, dont tu ne m’as jamais parlé en vingt ans de mariage. Permets-moi d’émettre quelques doutes.
– Ok, c’est vrai Caro, je ne t’en ai jamais parlé.
– Ah tu vois !
– Arrête s’te plaît, j’ai une raison valable.
– Je parie que c’est un truc qui rime à rien.
– On arrive bientôt, là. Je t’expliquerai après.
Patrick gare la voiture, remonte les vitres et tire le frein à main.
– Tu viens ou pas ?
– Ben, chais pas, on est où là ? C’est un peu flippant.
– Mais non, t’inquiète.
– Mais si, regarde le panneau « Défense d’entrer. Loup gentil monte la garde. » Il a un loup ton pote ?
– Mais, non. Enfin, je ne crois pas.
– Patrick, vraiment j’ai peur. Je préfère attendre assise dans la voiture.
– Comme tu veux Caro. Je te fais signe pour te confirmer qu’il n’y a pas de danger.
– Ok, ok, merci.
Patrick claque la portière et s’en va. Il marche d’un pas décidé vers le portail, cherche la sonnette. Il laisse son doigt appuyé longtemps. Une fois, deux fois, trois fois. Il se tourne vers Caroline, lui sourit. Il lui fait signe qu’il va faire le tour.
Caroline s’enfonce dans le siège, vérifie que la voiture est bien verrouillée. Une minute, deux minutes, trois minutes. Toujours pas de Patrick à l’horizon.
Soudain, on tape à sa fenêtre. Elle sursaute. Elle crie. Un homme barbu, immense, se tient debout. Elle appelle Patrick au secours. Le géant essaie de la rassurer. Elle entend vaguement : « Ah, c’est toi la gonzesse de Patrick ! »
L’homme s’éloigne et appelle « Patrick, Patoche, t’es là ? »
Patrick est enfin de retour. Il saute dans les bras du géant. Caroline reprend son souffle, sèche ses larmes. Patrick lui fait signe : « C’est lui. » Caroline tremble encore mais sort de la voiture.
L’homme est grand, l’homme lui sourit, il est même parfumé, il sent le jasmin.
Sa respiration ralentit, elle lui sourit aussi.
– Vous devez être Bernard. Patrick m’a beaucoup parlé de vous.
– Ça, ça m’étonnerait ma belle. Patrick ne parle jamais de moi.
– Ah bon, et pourquoi ?
– C’est notre deal. Comme ça, la police ne fait jamais le lien entre nous deux.
– La police… ?

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