Voie (x)

– Et si on changeait d’hypothèse : à chaque étape de vie, à chaque seconde même, on choisit un chemin. Et si je prends à droite, et si je prends à gauche, et si je continue tout droit, et si je reviens sur mes pas, et si je restais juste là.
Donc, changeons d’hypothèse : tu as choisi une voie avant, avant notre échange d’aujourd’hui. Qu’aurais-tu fait si on ne s’était pas vus aujourd’hui pour parler de ça ? Et puis, même si tu avais décidé de venir, on aurait peut-être et même sûrement parlé de tout autre chose. On aurait pu se questionner sur ce qu’on fait sur Terre, si elle est vraiment ronde. Tu sais, il y a encore des gens qui pensent qu’elle est plate.
– Tu sais, je t’écoute tergiverser depuis quelques minutes et je me dis : et si je ne t’écoutais pas, est-ce que tu t’en rendrais compte ?
– Arrête de te moquer. Je suis sûr que cette discussion t’intéresse autant que moi. On s’est tous posé la question un jour « et si ? »
– Ben non, pas moi.
– Ah ouais ? J’y crois pas ! Et si tu me racontais des bobards, là ?
– Des bobards, je t’en ai déjà racontés plein mais pas sur ce sujet. Je trouve juste que ce « et si » qui est censé ouvrir vers un espoir, une autre possibilité de vie est plus anxiogène que libérateur.
– Moi, je ne trouve pas. Ça laisse la place au rêve, à l’imaginaire, à, comme tu dis, une autre possibilité de vie.
– Sauf que ta vie, elle est comme elle est. Et t’as beau rêver, la rêver, l’embellir, elle reste ce qu’elle est. Elle n’est pas ce que tu en imagines.
– Dis-moi, et si ton moral était bon pour une fois ?
– Juste parce que je ne suis pas d’accord avec toi, tu considères que j’ai le moral dans les chaussettes ?
– Ben oui, et si tu souriais à la vie ?
– Je souris mais pas tout le temps parce que la vie me fait aussi pleurer. Et ce n’est pas en me disant « et si » que les larmes vont sécher ou que mon sourire sera plus expressif.
– Et si tu m’écoutais un peu. L’optimisme, ça peut être contagieux.
– Mais tu ne vois pas que je t’écoute depuis tout à l’heure. J’ai plutôt l’impression que c’est toi qui ne m’entends pas.
– Mais non, je t’écoute. Je te propose un truc ; et si tu gardais longtemps les yeux fermés ?
– Pour quoi faire ?
– Pour te reconnecter à ton moi profond, à ton enfant intérieur.
– Je répète : pour quoi faire ?
– Et si tu me faisais un peu confiance ?
– Tu sais très bien que je ne suis pas très patient pour ce genre de truc.
– Laisse-toi aller s’te plaît
– Ok, ok.
– C’est ça, souffle, expire un coup. T’inquiète pas, on ne va pas te voler ton téléphone, y a la police à la table d’à côté.
– Bon, je ferme les yeux pourquoi là ? Pour que tu me dises qui est assis à côté ?
– Non, non, c’était juste pour te rassurer. Voilà, baisse les épaules, respire profondément, oublie tes soucis, ignore le bruit autour et n’écoute que le son de ma voix.
– Ok
– Chut, c’est moi qui parle… Voilà, détends-toi. Entre dans tes rêves les plus simples comme les plus fous. Vois comme tu peux croquer la vie à pleines dents. Inspire. Expire. Tu sens la lumière qui jaillit de ton ventre ? Et si c’était le soleil en toi. Tu sens les picotis dans tes paumes de main ? Et si c’était comme des fleurs qui poussaient sur l’asphalte. Vois-tu ton enfant intérieur ? Fais-lui signe de la main. Dis-lui : « et si tu étais un homme ? » Entends-tu ce qu’il te répond ? Il te dit : en toi, je reste un enfant pour que tu n’oublies jamais d’où tu viens et les choix qui t’ont mené jusqu’à toi. Je suis là pour te rappeler que c’est important que tu penses à moi de temps en temps parce que, tu verras, ça te fera du bien. »
– Bon, je peux ouvrir les yeux là ?
– Ça dépend, tu te sens bien ?
– Écoute, on paye nos consos et on se casse. J’en ai un peu marre de tes idées farfelues.
– Et si l’argent n’existait pas, on ne pourrait pas partir de cette terrasse. Tu ne crois pas ?

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2 réponses à Voie (x)

  1. Emmanuelle P dit :

    Si les dialogues n’existaient pas, il serait urgent de les inventer. Le « si » comme filet entre deux voies : partir, fuir, ou rester, ressentir. Le texte amène à une agréable, voire salutaire réflexion. Texte bouillonnant.

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