Le linge ancien

Ces rideaux blanc, ajourés en haut, ce sont des draps de lin qui se sont transmis de génération en génération jusqu’à nous. Qu’en faire ? Ils étaient beaux, longs et parfaitement inutiles pour la literie.
J’aime le linge ancien. Sur tous les vide-greniers c’est ce que je chine. Mais ça fait longtemps que je ne suis pas allée dans un vide-grenier. L’été dernier, celui que j’attendais n’a pas eu lieu. Si je regarde en arrière, j’ai toujours aimé ça.
Le linge ancien, c’est comme la poésie, comme une promenade au petit matin, comme un bain de mer. On peut être seul avec lui et on sait que d’autres, des inconnus, en ont pris soin avant nous. Des Lucien, des Lucette, des Lucie, des Lucienne, des Ludivine qui brillent comme des lucioles dans la nuit de l’oubli. Pourtant, le drap, la taie d’oreiller, la nappe, le napperon, le torchon sont là pour témoigner qu’ils ont existé. Parfois, des initiales sont brodées. Et on pose sa tête là où d’autres ont posé la leur. Et notre sommeil rejoint le leur. Alors, il y a ce qu’on aimerait imaginer de ces personnages qui vivent un peu avec nous. Comme dans un roman d’Edith Wharton, on dessine leurs papiers peints, le soleil qui vient éclairer un parquet ciré, un fauteuil crapaud. On imagine un jardin où poussent des simples, du romarin, de la sauge et des roses. Ils, elles, me regardent me débattre avec ce linge en lin qui, lorsqu’il sort de la machine à laver, pèse des tonnes et ne semble jamais tout à fait essoré. Ils me regardent étendre les bras le plus loin possible pour le passer sur le fil, ou pire exercice, sur le Tancarville. Et ils rient, dans leurs habits d’avant, de ma maladresse. Ils ne savent rien du Monoprix et du linge léger qu’on y achète à bon prix.
Comment étaient donc les lits, dans ce temps passé, pour que les draps qu’ils nous ont laissés soient si longs qu’on ne parvient pas à les border ? On se résout à en couper un bout dont on coud les bords pour en faire des torchons. Et au prochain vide-grenier, je me laisserai encore tenter par une chemise de nuit qui restera au fond du tiroir, par des taies d’oreiller parce que c’est ce qui encombre le moins et que ça sert toujours. Et rien de ces trésors ne sera remisé à la cave, parce qu’à la cave, ils risqueraient de s’abîmer.

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