La plage de Termate

Il y a des os de seiche sur la plage, coincés dans les racines du pin tenu en équilibre sur la falaise effritée. Chadoo aime s’installer là, face à l’océan. Elle y apporte sa mandoline et joue, bercée par le rythme des vagues qui s’échouent en douceur. C’est juin et sous le soleil de l’été balbutiant, le sable a la couleur de la poudre de sérénissime. La plage de Termate est son refuge. Elle y vient depuis toute petite, dès qu’un moment disponible s’offre à elle. Il y a quelques années, le pin était planté au-delà de la falaise, mais les tempêtes ont détruit son paysage. Qu’importe. La destruction fait partie de la vie, oppose Chadoo à ceux qui maugréent.
Un matin de décembre, alors qu’elle avait posé son instrument sur un tapis d’algues, elle a entendu quelque chose dans l’eau. Comme des borborygmes. En regardant bien, elle n’a pas vu de plongeurs, mais tout à coup, ont surgi des flots trois dauphins. Dans une chorégraphie muette, ils ont plongé, tourné, ont sauté de nouveau. Le temps s’est dilaté et Chadoo s’est trouvée bien incapable de raconter combien de temps le ballet avait duré.
Son amie Pochouse a eu du mal à la croire. Par ici, nul n’a jamais vu de dauphins si près des côtes. Les jours qui ont suivi, elle a accompagné Chadoo à la crique, mais les dauphins n’ont jamais reparu. Autour de Chadoo, on en a conclu qu’elle avait rêvé. Certains l’ont même appelée sorcière. Et même pousse-pousse-crottin, en référence à cette herbe qui poussait n’importe où et qu’on ne savait pas dissuader d’envahir les jardins. Chadoo a haussé les épaules. Elle sait que les dauphins ont dansé devant elle et sont repartis se cacher au large. Pochouse a fini par lui accorder le bénéfice du doute, en espérant secrètement que sa presque croyance permette que le spectacle se reproduise pour elle aussi. Parfois, sans se le dire, elles attendent. Silencieuses, la mandoline dans son étui, les yeux rivés sur le clapotis bleu des jours de calme plat.

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