Le Pianoël

La déception n’a pas d’âge mais elle a un visage. Je regarde ce petit être de 6 ans, le menton tremblotant et les yeux remplis de larmes devant la grille fermée de la mairie. De l’autre côté, la boîte aux lettres du Père Noël, inaccessible.

– Et comment je fais maintenant pour envoyer ma lettre ?

Il me toise, je suis l’adulte et je lui dois une réponse. Quelle idée aussi de mettre sa boîte aux lettres à cet endroit ? Ouvert entre 10h45 et 11h27, les jours impairs. Aucune chance.

– Je la posterai de mon travail, lundi.

– Lundi on sera le 24, ça n’arrivera jamais à temps.

A cet instant, je suis prise entre l’envie de tout lui balancer sur la véritable identité du Père Noël et l’incapacité de faire face aux conséquences d’un tel acte. C’est quand même fou que ce gamin, à 6 ans, croit toujours au Père Noël. Sa foi a résisté aux camarades d’école indélicats, aux cadeaux mal cachés et aux faux pères noël avinés. Ce serait bête de tout gâcher et de passer pour la méchante.

– Ecoute, on rentre et on réfléchit à une solution sur le chemin, OK ?

– Mouais…

Gagner du temps et éponger les larmes, c’est tout ce que je peux faire pour l’instant. Arrivés à la gare, des notes s’élèvent au-dessus d’un petit groupe de badauds. La curiosité l’emportant sur la tristesse, petit être se précipite, m’entraînant avec lui.

Sur le piano-gare, des mains abimées et virtuoses virevoltent de touche en touche. C’est presque trop rapide pour exister, trop rapide pour le temps lui-même, qui s’est arrêté.

– C’est lui ! Je vais lui donner ma lettre.

Petit être, les yeux agrandis de joie, trépigne comme s’il avait trouvé toutes les réponses de l’existence.

– Mais qu’est-ce que tu racontes ?

– C’est le Père Noël qui joue, là !

Il me désigne le vieux bonhomme au piano. Abstraction faite des vêtements hors d’âge et de la couche de crasse, le profil correspond : barbe et cheveux blancs, sac à dos énorme qui ressemble à une hotte et magie indéniable. Avant que j’ai pu répondre, le voilà parti avec sa lettre pour aller lui remettre en mains propres.

Le vieil homme interrompt son concert quand le petit être dépose sa lettre sur le piano. Je prie pour qu’il soit gentil, qu’il ne brise pas ses rêves. Je me dis que c’est égoïste de penser ça, quand les siens doivent être en morceaux quelque part. Ils parlent tous les deux mais je n’entends rien. Je ne veux rien arrêter, je l’attends. Je suis tout de même prête à bondir si ça tourne mal.

Quelques minutes plus tard, le vieil homme range la lettre dans son sac et petit être revient, tout content.

– C’est bon, je lui ai dit que j’avais été sage.

Je regarde le virtuose, lui adresse un signe de tête. Un geste pour se comprendre et lui dire mon infinie reconnaissance.

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