Une vie

Romane est assise sur la méridienne en carton.

– « une vie c’est long » dit-elle.

– « t’es drôle » dit le metteur en scène.

– « je parle de ton texte » dit Romane.

– « enfin de ton adaptation du roman de Maupassant ».

– « il y aura de la fumée au sol » dit le metteur en scène, « une fumée lente, Sophie je sais que tu n’aimes pas la fumée, mais tu verras, elle reste au sol, ce sera un bel effet ! »

Je regarde Romane, je l’imagine sur l’île qui n’est encore qu’à l’état de maquette, bon la fumée j’aime pas trop c’est vrai, pour avoir déjà travaillé avec des metteurs en scène qui en mettaient partout, pourquoi pas une boulle à facette, chat échaudé craint la fumée !

Je regarde Romane, elle est précise, seule en scène, elle a deux heures de texte à apprendre, à la virgule près, le metteur en scène est un peu maniaque, deux heures pour raconter l’histoire banale d’une femme qui voulait être heureuse, et qui ne l’est vraiment qu’à la fin de l’histoire.

L’importance c’est d’être inconstante, Romane ne l’écoute pas, cours, cours sur mon décor, tout en carton, une prouesse technique, avec laquelle je suis morte dix fois déjà, mais rien ne sert de mourir il faut vivre à point.

Romane court sur l’île qui ressemble à un ponton, elle court, elle parle vite, elle raconte la nuit de noce, son désespoir, elle court, le carton résiste, la fumée court sur le sol et c’est beau.

Romane regarde à travers la fenêtre en carton elle aussi.

– « vraiment, a dit la productrice, tout en carton ? ça va tenir ? »

-«  oui » ai-je dit, je crâne toujours au départ, puis au milieux du guet je meurs, je meurs longtemps, et mourir c’est partir beaucoup, puis à l’arrivée, c’est beau, ça marche, ça tient, alors je crâne encore !

Je regarde Romane, elle a tenu elle aussi, deux heures de texte, d’émotions, tout un chemin, toute une vie qui sort de ses yeux bleus, de ses lèvres pâles, du frémissement de tout son corps tendu vers le public.

Sophie T