Vers la Bourgogne

La voiture tangue sur l’autoroute. Enfin on est sortis des bouchons et la Bourgogne se profile. Plus d’un an que nous n’y sommes pas allés ; je sens le manque. Spécialement les matins pluvieux de printemps. La pierre imbibée d’eau me ramène immédiatement aux sols détrempés des chemins de terre qui serpentent autour des vignobles, devenus parfois tellement boueux que les pieds peinent à s’en extraire pour avancer. Les ciels sont gris anthracites, mais soudain un rayon de soleil éclaire le feuillage tendre des vignes, les herbes folles, fait briller les boutons d’or. Les oiseaux ne se font pas attendre pour chanter l’accalmie. Souvent, le regard se pose sur un vaste panorama où se dresse un clocher et l’heure sonne.

 

A l’auberge, trois mois qu’on n’avait pas reçu le moindre voyageur. Pourtant, le temps arrêté glissait sur elle comme de l’eau sur de l’huile. Est-ce que tout était rompu ? Etait-ce le moment de renoncer ?
Depuis plusieurs années déjà elle peinait à monter l’escalier pour accéder aux chambres, sentait ses articulations tirailler quand elle se baissait pour lessiver les bacs de douche. Changer les draps n’était plus si facile. Fernand, lui, en remontant la rue, continuait de s’arrêter devant la grande vitre, tapait légèrement au carreau et elle lui ouvrait. A force, les rôles s’étaient inversés. Elle s’asseyait à la table d’un client et lui, il lui servait son café au lait avant de se faire un simple expresso. C’était devenu une habitude.
Fernand avait été marin de la haute mer, mais vers ses 40 ans, il avait rencontré une fille d’ici et il était venu s’installer. Les vignobles donnaient du travail et parfois même Fernand se demandait si la terre, elle était pas plus vorace que la mer. Elle vous broyait le dos. L’aubergiste et Fernand, ils ne se faisaient pas la charité, loin de là. Ils partageaient le café comme on partage un rayon de soleil. Ça les réchauffait de leur solitude. Pas qu’ils aient un chagrin à noyer, ça non. Ils étaient bien trop philosophes pour ça. La mort les avait esseulés, et alors ? On ne pouvait pas s’attendre à autre chose. Et l’un comme l’autre se sentaient chanceux de ne pas avoir laissé leur pareil tout seul. Fernand, quand il avait caressé le front glacé de Louise, il avait été heureux que ce ne soit pas à elle de faire ça. Parce que, quand même, c’était glacé glacé la peau, quand ça passait.
Le chien de l’auberge dormait dans un coin, un œil ouvert, devant la cheminée sans bois. Le convecteur faisait aussi bien l’affaire et y avait qu’à le brancher. C’est pour les clients qu’on faisait le feu. Ils aimaient ça, surtout les dames qui venaient se frotter les mains devant. Mais ça, c’était avant.

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6 réponses à Vers la Bourgogne

  1. Emmanuelle P dit :

    Magnifique. C’est comme si j’étais en vacances, à les observer.

  2. Cécile C dit :

    Merci Emmanuelle. En écrivant ce texte j’ai été inspirée par mon envie de bouger et par mes pensées pour ceux qui attendent le client depuis longtemps. Une vieille femme que je connais m’a inspiré le personnage de l’aubergiste.

  3. Catherine Z dit :

    Superbe ! On y est …dans ce bistrot à siroter un café les yeux dans le vague sans rien se dire…

  4. Aliette S dit :

    J’aime beaucoup l’atmosphère de ce texte, merci !

  5. Cécile C dit :

    Merci Aliette pour ta lecture !

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