J’étais là, au bout du quai à l’attendre. C’était la première fois qu’elle voyageait seule, elle l’avait tellement voulu, elle avait tanné ses parents. A seize ans elle espérait enfin obtenir leur autorisation. Et voilà, c’était fait. J’avais été contactée pour être à la gare afin de récupérer leur précieuse enfant qui, dès que je la vis, n’en avait plus l’air du tout. Une jeune fille très grande, les cheveux blonds coupés court. Elle rayonnait dans ce hall sombre au milieu de cette foule bigarrée et à cet instant, je ne vis qu’elle.
J’avais appris depuis peu son existence. Par un curieux concours de circonstances, j’avais été mise en contact avec le notaire de la famille. Nous avions fait connaissance lors d’un colloque et en discutant pendant le cocktail prévu en fin de session, il s’était aperçu que je faisais partie d’une fratrie dont il avait la charge.
Je savais depuis toujours qu’un frère de ma grand-mère était mort lors de la guerre de 14, je n’avais jamais eu de contact avec cette branche. Comme pour beaucoup on ne choisit pas sa famille par contre on peut délibérément décider de ne pas s’en soucier.
Mais voilà, elle était là, si semblable aux photos de mon aïeule que je l’aurais reconnue de toute façon. Je lui fis signe, un sourire éclaira son joli visage, elle s’approcha et m’embrassa comme si tout cela était naturel. La voir ainsi remuait des souvenirs que j’avais décidé d’enfouir il y a longtemps, mais l’âge venant j’avais décidé qu’il me fallait faire bouger les lignes. Avancer en regardant en arrière et ainsi découvrir qui j’étais vraiment. J’avais toujours eu l’impression d’être habitée par quelqu’un d’autre que moi, comme si deux ou trois personnes s’agitaient, discutaient à l’intérieur.
Et elle était là, devant moi, comme une évidence. On avait tant à se dire. Elle aussi avait appris mon existence très récemment, mais notre rencontre, sur ce quai de gare s’apparentait à des retrouvailles.
Je lui pris son bagage et les mots commencèrent à se bousculer, les siens, les miens, les silences, un éclat de rire, une larme sur ma joue.
Puis nous étions sorties sur le parvis nous dirigeant vers la longue file d’attente des taxis.
Eliane
Atelier buissonnier du 30 ars 2021