Etés indiens

L’été indien n’a pas duré. Au bout de 2 jours, une pluie froide s’est mise à tomber sans relâche. Au-delà de la ville, les collines hautes se sont perdues dans une masse cotonneuse. La grande route qui y mène et que nous devions suivre jusqu’au col a reçu ses premières neiges, nous obligeant à ralentir l’allure. C’est pourquoi d’ailleurs nous avons raté le début du chantier, et lorsque nous sommes arrivés, le lavabo de la cuisine se balançait dans le vide, encore accroché au mur par une canalisation rouillée, tordue. Éventré, le sol s’écartelait en vestiges de carreaux jaunes et bleus. Comme des bannières s’adressant à nous dans une langue que nous ne parlons plus, des lambeaux de papier peint se soulevaient sous les rafales, frappaient la cage d’escalier déchiquetée.

Dans ce décor de désolation, pensant à celles, aujourd’hui disparues, qui ont vécu et animé ces lieux, m’ont aimée, élevée, j’ai eu honte soudain de mes baskets brillantes, de mon ciré jaune vif tout neuf. J’ai détourné le regard. Par terre, une petite poupée de bois sculptée dans une noix gisait parmi les gravats. Je l’ai ramassée, probable poupée fétiche de l’une de mes aïeules. Tout à l’heure, au cimetière devant le lac, je la déposerai sur la pierre noire du caveau de famille. Puis je rejoindrai Bruno parti se réchauffer au café du Commerce et nous reprendrons notre route, vers d’autres étés indiens.

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