Le questionneur

« A quoi penses-tu ? « me demandait-il sans cesse. » A rien, à rien ». Il insistait. Allongée derrière la dune où pousse la fougère, je me faisais végétale. Je plongeais dans les vagues ébouriffées, pour lui échapper durant quelques brasses. « Pourquoi tu ne nages pas le crawl ? » m’assenait-t’il dès  que je sortais de l’eau. « Sais pas, c’est comme ça. « Plus tard , sur une chaise longue, cuite et recuite par le soleil, je somnolais, mon chapeau glissé sur le nez. « Qu’est ce que tu fais ? on va au restaurant ce soir ? Est- ce que tu viendrais faire un tour sur la digue ? » Dans ces jours d’été océaniques et flâneurs, Jean lançait ses flèches pour m’examiner, me sonder, me cerner comme un mécanisme  défectueux. Je crois qu’il était amoureux de mes rouages, de mes neurones, de mes connexions. Tout, il voulait tout savoir! A peine debout il reprenait sa quête. « Qu’est ce que tu crois ? C’est vrai tu crois ? Mais tu y crois, toi ? Qu’est ce qui te ferait plaisir ? « « Que tu la boucles!!! « Mais ça je ne le lui ai pas dit tout de suite, tout de même un peu séduite par ses jolis regards. C’était Une rencontre bancale, moi je suis la reine de l’esquive,  un grand assemblage de poudre d’escampette, j’ai le premier prix de silence signifiant…. « regarde- moi dans les yeux »  disait mon père, fâché contre mon insolence de fugitive. « Où vas- tu ? » Continuait Jean inlassablement. « Je ne sais pas encore ». « Mais tu as pris ton sac et tes clefs alors? « « je ne sais pas, je déciderai au bas des marches ». Ça le mettait dans une rogne qu’aucun mot doux ne pouvait apaiser. Et puis il y eut une question de trop, « est-ce que tu m’aimes ? » « Et bien non, plus du tout! »

Par une drolatique ironie du sort j’ai, plus tard, épousé un Japonais qui est le roi de la non- réponse et qui , à la question : « tu vas où ? » Peut répondre sans sourciller, « quelque part ». Tel est pris qui croyait prendre. J’ai rencontré le roi de la glisse entre les mots. « Qui as- tu rencontre sur le chemin.? »« Oh tu sais , juste quelqu’un »

Ce contenu a été publié dans Atelier Buissonnier. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire