Il rentrait bredouille de sa pêche à pied. Panier et pelle attachés à ses bretelles battaient ses cuisses. L’eau commençait à monter et ses bottes s’enfonçaient un peu plus à chaque pas dans le sable vaseux .
Sa vieille allait encore faire la tête: « c’est pourtant la saison des palourdes. Quel ballot tu fais à rentrer à vide. Qu’allons-nous manger ? »
Elle n’était jamais contente. Il y en avait trop. Il n’y en avait pas assez.
De leur petite maison bretonne en bord de falaise, il aimait regarder l’horizon, l’eau grise, les flots agités, l’écume qui s’éparpille sur les vagues. Et plus loin dans la lande, loin d’elle, assis au milieu des fougères et des bruyères, il se laissait imprégner par les odeurs de genets et d’iode, fumant sa pipe, laissant son esprit courir sur l’océan, flirter avec les courants.
Pourtant sa voix criarde le rattrapait toujours. 50 ans qu’il l’entendait. Au début de leur mariage il s’était étonné , avait tenté de l’apaiser. Rien n’y faisait, alors il avait tenté de crier plus fort qu’elle pour ne plus l’entendre mais elle avait toujours le dernier mot. Le dernier cri.
Tel un bateau impuissant pris dans la tempête, il avait baissé les bras et prenait le large dès qu’il le pouvait. La pêche à pied l’avait parfois sauvé des reproches mais jamais bien longtemps. Une vie de frustrations. Il était vieux. Il était fatigué.
L’eau montait toujours et ralentissait sa marche. Il peinait contre le courant et ses bottes devenaient de plus en plus lourdes, aspirées par le sable vaseux. Son esprit hésitait. Il sentait confusément que le temps était venu. Une grande paix l’envahit. Sans plus lutter, il se laissa glisser dans la première vague, se confiant aux flots montants.
Quel destin ce vieux breton las de sa vie …!
Quelle parenté des personnages dans ce texte et celui des « breloques » ! Mais pas la même humeur, pas le même ambiance. Et pourtant, tous deux face à la mer, tous deux ils la désirent…. Joli texte, dur destin…