Sethiev s’accroche

La terrasse est baignée dans une lumière de miel, mélancolique et bleutée. Quelques chaises, des boissons. Louis Caldy a posé sa main sur mon épaule. Est- ce un allié plein d’élan ? Est-ce pour m’encourager ? Pour me consoler ? Le vin blanc tiédit dans les verres. Derrière la haie on entend des rires d’enfants joueurs. Je veux partir, vite en finir. Fuir la beauté agressive de cette maison, de ce jardin, de ces femmes. Trop de beauté, jusqu’à l’écœurement. Ce sont des instants où je pense aux expressionnistes allemands, à la trogne avinée, fracassée de leurs sujets. Attristé, accablé, frustré, je suis allé faire quelques pas loin d’eux, eux venus pour moi, eux si loin de moi. En marchant sur la pelouse trop verte, trop bien taillée, j’ai aussi pensé à Vieira da Silva. Chez elle tout est allusion, dans le foisonnement de ses aplats colorés. Du frontal tout en douceur. Moi je veux toujours m’éreinter, me déstructurer, m’exciter et retomber, empoigner la lumière à grandes brassées et jouer avec les ombres. J’envie souvent là sérénité du vieux Soulages qui plonge dans ses noirs, encore et toujours, avec une suprême certitude.

» Alors Sethiev content de ton accrochage? » quel con! Comme si j’étais Content un soir de vernissage! Qu’en savent-ils tous ces critiques, ces collectionneurs qui tournent autour de moi, flairant le bon papier, la belle plus- valeur…non je suis méchant, certains sont vraiment sincères. Mais que savent- ils de l’instant vertigineux du premier geste, de son ivresse et de son angoisse ?. Chaque fois je grogne et me dandine comme un ours, fredonne, hésite et lance la première trace à la volée. Richter dit qu’attaquer une toile c’est comme démarrer un cent mètres.

Mon père dessinait des paysages de neige avec une extrême  minutie mais en utilisant la couleur comme de la dynamite. Oui mon père, lui, était un vrai dynamiteur. Peintres de grand- père,  en père , et moi le petit-fils…qu’ai- je gardé de mes années d’apprentissage ?de mes années d’enfance ? Suis- je exilé en quelque lieu que je n’ai pas choisi ? Le nombrilisme c’est la gangrène de l’artiste. Je le sais bien, n’empêche….

il fait frais , ils s’en vont un à un. Moi aussi je vais rentrer. «  Nina, on y va? ». Elle se serre contre moi. «  tu as l’air triste Sethiev », « non plutôt bourré et agacé . Je n’aurais pas dû accrocher les deux Toiles à dominante rouge, au fond à gauche. » « Arrête ! Qu’est- ce que tu peux être casse- pied, tout va bien et cesse de toujours tout remettre en question » À quoi bon le nier, je vis par effraction, au gré de mon arythmie cardiaque. Nina est une sainte de me supporter chaque jour. Je le lui dis en riant. Elle hausse les épaules mais elle sait bien que j’ai raison.

Ce contenu a été publié dans Atelier Buissonnier. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Sethiev s’accroche

  1. Aliette S dit :

    Il me plait ce Sethiev ! Merci pour les deux textes où il apparaît…

Laisser un commentaire