Tempête

À force de pluie l’horizon s’est désagrégé. Tout est gris. Dans la cacophonie des cornes de brume, une voile se met à claquer. Sur le pont deux enfants ont mal au cœur. C’est un bateau de vol au vent pour ouvrir la bouche et hurler. Tout tangue et chavire. Les mots cliquettent. Eux continuent à avancer. Paul, l’homme à la barre est bien décidé à passer. Il porte son fardeau, sa peine, il porte son histoire qu’il jette à l’ouragan. Dans la cacophonie des cornes de brume, il avance comme un vaisseau fantôme, il avance en zigzaguant. Les deux enfants se tiennent par la main et lui demandent d’arrêter. Il est temps de faire demi- tour. Dans la tête de Paul tout n’est que lamentation et fureur. Un bateau à moteur les a rattrapé, un vieux chalutier cabossé, un peu déglingué et rouillé. Dans la cacophonie des cornes de brume il entend ses enfants pleurer. Il sait qu’il faudrait rentrer, allumer un feu, se réchauffer mais il sait que l’absence, son absence le terrassera. La brume berce  sa douleur. Le voilier s’est incliné, le chalutier s’est rapproché. Au loin un grand bateau blanc s’est arrêté. Une croisière d’imbéciles prétentieux a pensé Paul décomposé. Du chalutier parvient une voix dans un mégaphone : »on vient vous chercher, impossible de continuer à la voile avec ce vieux gréement. On va vous remorquer. » Les pêcheurs en ciré jaune ont saisi les deux enfants qui se tiennent à leurs cols mouillés. Paul a réussi à enjamber le vide qui sépare les deux bateaux. Son fils aîné lui prend la main dans les hurlements du vent. » viens, papa, on va boire quelque chose de chaud. »

dans la cacophonie des cornes de brume tous les cinq se sont mis à parler. Le sixième se tait, il manœuvre pour ramener le chalutier au port. Une larme glisse sur la joue du plus jeune garçon mais le vent s’est un peu calmé. Les quais apparaissent dans leur réconfortante horizontalité. La cacophonie des cornes de brume a perdu en intensité.

les enfants sont fatigués. Un dernier baiser et Paul aussi va se coucher.

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