Effet mère

Quand tu marchais sur le trottoir, je regardais ton ombre. Cette ombre parfois grise souvent noire me faisait peur mais moins que toi. Je m’accrochais à cette ombre, j’attendais désespérément qu’elle disparaisse, qu’elle soit engloutie dans une ombre plus grande. Dans cet instant éphémère, je croyais avoir réussi à t’échapper. Enfin.
Tu n’avais jamais vu le port des manches longues, de lunettes de soleil les jours de pluie. Non, jamais. Tu marchais toujours deux pas devant, me cachant au reste du monde.
Il t’arrivait de revenir le soir avec une fleur, souvent fanée pour te faire pardonner. Et puis chaque soir, il fallait anticiper le moindre de tes besoins, la moindre de tes envies et contrer la moindre de tes contrariétés : tu avais envie de manger une paëlla, il fallait que je le devine bien avant que ton envie ne naisse ; le ketchup était trop sucré pourtant il était bio ; tu avais croisé le voisin qui t’avait dit que sa femme invitait des gens chez elle ; un collègue de travail avait commenté que ton fils était tout petit pour son âge. Je prenais les blâmes pour tout cela, j’avais la tête à l’envers. Hier soir, tu avais failli t’en prendre au petit.
Ce matin, on était partis, on avait compté jusqu’à trois et on était partis sans se retourner. Je regardais les ombres sur le trottoir et à chaque battement de mon cœur, j’avais peur de voir la tienne surgir.
Nous avons pris un train, le premier. Mais je ne devrais pas te dire ça, tu pourrais nous retrouver. Nous sommes arrivés sur une île aride, sans aucune ombre. Nous avons fait des sculptures de sable et on les a laissées s’effondrer avec le ressac.
Il y a un tableau dans la maison, un petit tableau. Il est en mouvement ce tableau : le vent qui chatouille des feuilles vert tendre. Il est doux ce tableau. Il me fait du bien ce tableau.
Il faut que j’arrête de te parler, même dans mes pensées. Tu pourrais nous retrouver, je pourrais encore une fois te pardonner.
Il n’y a pas de chauffage où l’on est mais le plus important est qu’il n’y a pas d’ombre. Plus aucune.
J’étais loin de me douter que je réussirais à m’échapper, à t’échapper. J’arrête de parler. Chaque pulsation de mon sang me rappelle que je suis en vie. Tu ne verras plus mon sang couler. Plus jamais. Chut, je me tais.

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