Balade nocturne

Le sommeil la fuit comme les nuits précédentes. Elle enfile son imperméable, prend ses clés. La porte claque derrière son dos. Elle préfère les escaliers à l’ascenseur, premiers pas pour une nouvelle balade nocturne. Pas de brise de vent chaud pour l’accueillir, elle rencontre plutôt un vent frais et humide qui plaque sa mèche sur son front. Par habitude, elle se dirige vers la Seine, vers le lieu de rassemblement des âmes solitaires qui se réconfortent en fumant des herbes variées et en buvant bières et vin. Pas besoin de verres, les bouteilles s’échangent de main en main, dans l’obscurité, à l’abri de la lueur blafarde des réverbères. Les regards ne se cherchent pas, les paroles ne s’écoutent pas, chacun est dans son monde même si un semblant de dialogue s’ébauche de temps en temps, vaine tentative pour justifier sa présence en cet endroit sinistre, tout juste égayé au loin par l’éclairage des péniches qui se balancent doucement quand un bateau rempli de touriste vient rompre le cours tranquille du fleuve. Combien de temps reste-t-elle là ? Elle a depuis longtemps cessé de compter les heures perdues dans ses virées nocturnes. La nostalgie de la douceur des draps usés, témoin de son bonheur passé, la renvoyait à l’époque où à ses côtés reposait celui qui remplissait sa vie. Elle est maintenant confrontée à l’indifférence des fibres neuves et rêches qui lui griffent la peau. Le partage des biens avait été douloureux et avait déclenché bien des maux. Elle aurait préféré ne rien avoir et rester avec ses seuls vêtements. Mais lui avait choisi de faire un tri et de n’emporter que ce qu’il considérait vieux et usé pour lui permettre de recommencer sur de nouvelles bases avec du neuf, du moderne, du récent. Mais elle, tout cela ne l’intéressait pas. Il lui semblait qu’une partie de sa vie s’était arrêtée au moment où il avait choisi de passer à autre chose, à quelqu’un d’autre.

Un mouvement se dessine autour d’elle qui la ramène sur le quai. Pour la première fois, elle sent qu’elle est peut-être imprudente et qu’elle pourrait être une proie facile pour ces ombres qui arrivent de nulle part. Mais non, elle n’a pas peur. Elle n’a jamais eu peur de déambuler dans les rues désertes. Elle se sent même plus forte, comme si cela pouvait lui donner l’occasion de décharger sur ces inconnus la colère et la rage qu’elle a emmagasinées.

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