Commerce de proximité

4 heures du matin. Nuit noire. Il cherche ses clefs dans sa poche. A tâtons. La ville dort, pas lui. Il glisse la clé dans le cadenas et brise la chaîne qui maintient le rideau fermé.
Il a repris la boucherie au décès de ses parents. L’aîné de la famille, il était bien obligé.
Il enfonce le pied de biche pour faire levier et soulever le rideau de fer. Il se fiche de faire du bruit et de réveiller le voisinage. Il avait passé beaucoup d’années à y faire attention puis il s’était lassé. Personne ne faisait attention à lui, à ses nuits écourtées. Ils venaient tous, ces charognards, dès que l’appétit réveillait leur instinct de chasse.
Bernard n’aime pas la viande, il n’aime pas le sang et pourtant. Chaque jour, chaque heure, coulent des rigoles de sang à l’eau de Javel de son commerce familiale. Il déteste cette odeur âcre.
5 heures du matin. Les éboueurs passent dans la rue. Les poubelles claquent et se vident. Puis le bruit s’enfuit.
Bernard sort fumer une cigarette. Il sait qu’il ne devrait pas mais à quoi bon faire comme on lui dit de faire ?
Il ramasse un caillou plat et le lance dans la Seine. Ploc, le caillou se noie. Il en prend un autre, se rappelle la technique. Il compte un, deux, trois, quatre, cinq ricochets. Il voudrait battre son record, il voudrait que le caillou saute jusqu’à l’autre rive et s’échappe.
Il écrase son mégot et entre dans la boucherie. Il va vendre des testicules de taureau aujourd’hui. Encore un autre être émasculé, se dit-il.
Le jour se lève enfin, le boulanger lui fait signe et lui sourit. Ça sent le pain chaud et les pains au chocolat. Pourquoi les parents de Bernard n’étaient-ils pas boulangers ?

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