Ire

A l’avenir, ça serait bien que tu…Non mais là, ça serait bien que tu…Franchement, la dernière fois, ça aurait été bien que tu…
Dès qu’elle ouvre sa bouche, les seuls mots qui sortent ne sont que des reproches. Mais non, des conseils, arguerait-elle.
– Laisse-moi vivre ma vie putain !
– Tu ne devrais pas dire de gros mots, ce n’est pas très joli, joli dans la bouche.
– Parce que des reproches, des « tu ferais mieux de… », c’est mieux peut-être ?
– Au moins, je sais me tenir.
– Rien à foutre, tu ferais mieux de t’abstenir.
– Je fais ça pour ton bien.
– N’importe quoi. Tu crois que ça me fait du bien d’entendre constamment que je ne fais rien de bien ?
– Mais qui dit ça ?
– Ben toi pardi ! Tu ne fais que me pourrir la vie.
– Enfin, je ne fais que te guider, te donner un avis, te montrer un chemin.
– Je répète : je m’en fous ! Quand je t’écoute, que je suis tes conseils, ça ne va pas non plus. Et puis, t’as vu où il t’a mené ton chemin ? Un chemin de merde, oui !
– Ludovic ! Tu vas me faire le plaisir de retirer tout de suite tes propos.
– Qu’est-ce que t’as pas compris ? Ouvre grand tes oreilles : j’en peux plus ! C’est clair ou pas ?
– Ludovic, je te préviens, je te préviens…
– Quoi ? Tu me menaces de quoi en fait ? Tu me préviens de quoi ? Que tu vas te fâcher, que je te déçois encore une fois ? Mais toute ma vie, je te déçois, je ne suis pas à la hauteur. Tu peux bien comprendre que ce n’est plus possible pour moi, non ?
– Mais, Ludovic, voyons…
– J’ai essayé, je t’assure, j’ai essayé. Mais jamais je n’ai eu un encouragement de ta part. Toujours des critiques, toujours des « tu peux mieux faire que cela ».
– C’est faux, je ne te permets pas.
– Mais ouvre les yeux enfin. T’es toujours dans le négatif, t’es toujours dans la déprime. Y a jamais rien qui va. Tu te rends compte que je t’ai jamais entendu rire.
– Mais bien sûr que si. Il y avait la fois où…
– Il n’y a pas eu de fois où ! Tu peux ressasser tout le passé, pas une seule fois je n’ai entendu le son de ta voix autrement que sous la forme d’un grognement permanent.
– Ludovic…
– Ecoute, je me casse d’ici. Je vais voir ailleurs si on m’apprécie à ma juste valeur. Parce que oui, j’ai de la valeur même si je n’en ai pas à tes yeux.
– Ludovic…mais…
– Je me casse je te dis et je ne compte pas revenir. Tu peux toujours courir.
– Ce n’est vraiment pas une façon de me parler.
– Mais tu te fous de ma gueule ? Je te dis que je pars et tout ce que tu trouves à redire c’est ma façon de parler ?
Ludovic attrape son sac à dos et claque la porte. Il part, il ne revient pas. Il avance, il ne revient plus en arrière. Il respire enfin.
Des années plus tard, il reçoit un télégramme. Il prend le train. Pendant le trajet, il se remémore cette dernière conversation. Il aurait dû lui dire qu’il l’aimait malgré tout. Elle aurait elle aussi dû lui dire qu’elle l’aimerait pour toujours.
Ludovic marche sur les graviers lentement. Son visage est fermé, il ne pleure pas. Il s’accroupit devant le menhir. Les dates sont gravées. Une date de naissance. Une date de décès. Et tant de souvenirs maintenant enterrés.

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