Jack

A ne jamais prendre de risque, on évite de terminer troué comme une passoire.

 

Jack était la gloire du 5e district. Son épouse le tannait pour qu’il écrivît ses mémoires.

L’accumulation des décès, des crimes sanglants, des frissons d’effroi avaient fracassé sa capacité à prendre du recul ou décorer sa poitrine d’une médaille de fierté imaginaire.

Il en avait ramassé des mecs bourrés, des femmes massacrées, des mafiosi cramés avant de se repentir.

– Tu veux des mémoires, alors écris-les toi-même ! avait bougonné Jack, tout en se versant un nouveau scotch.

Betty l’avait pris au mot et commencé la rédaction. Fleur de Lys et son splash à vélo dans Central Park, la jeune femme qui perdait systématiquement son kimono au passage du joggeur qui faisait battre son cœur.

Betty ne restituait qu’une vision idyllique de la fonction de son mari. Avec elle il choisissait son vocabulaire. Ce n’étaient pas des pourritures qui butaient des gosses ; c’étaient des gangs qui réglaient leurs comptes.

Cela n’intéresserait personne, se disait-il. Les chaînes d’info en continu gavent le public de sang et de morceaux de cervelle éclatée. Alors, en quoi un flic allait innover ?

Jack espérait que Betty se lasse vite de tremper sa plume dans l’eau de rose.

Jack craignait qu’elle ne lui demande des détails. Des dates. Des lieux. Des noms. Des faits. Des verdicts.

Il avait trouvé la parade : « Viens chérie, on va se promener. Ecrire trop te rendra dingue ! ».

Betty ne disait pas non. A présent, Jack était souvent à la maison. Un soir, il était rentré : « Je vais travailler un peu moins. Le capitaine m’appellera lorsqu’il aura besoin de moi ».

Enfin, elle n’aurait plus peur en entendant hurler les sirènes. Elle ne craindrait plus les appels en pleine nuit.

Jack ne laissait plus traîner son téléphone. Depuis plusieurs mois, il était devenu son confident. Il lui demandait de se souvenir de tout : son nom, Betty, les enfants.

Ces expériences de vies avaient aussi fusillé sa mémoire.

C'est un peu par hasard que j'ai découvert le plaisir d'imaginer des histoires. D-Ecrire des vies. Et j'ai trouvé avec Cécile et Philippe, et tous les participants, de quoi cultiver l'enchantement. Merci à tous.

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