Près des dahlias

Quand elle parlait de lui, elle l’appelait le gorille. Sans que personne ne comprenne pourquoi. Il était mort trop tôt et quand le 17 octobre venait, elle s’en allait, marchant seule dans les allées du bois, de ce pas lent qui était maintenant le sien. Elle aurait pu se remarier, et ceux qui avaient vu Jean-Louis lui tourner autour avaient pensé qu’ils finiraient peut-être ensemble, mais non. Ils habitaient tous les deux la baie, et ensemble, plongés dans la nuit et le silence, ils avaient passé de longs moments à contempler le phare. Jean-Louis avait été un ami remarquable, et Marthe une veuve fidèle.
Assise près des dahlias qui résistaient à la pluie et au vent d’automne, elle observait avec délice les arbres portant leurs feuilles d’apparat. Des souvenirs la traversaient, comme ces bains de mer qu’elle continuait de prendre bien après que l’été fut passé. Elle descendait vers la crique avec son peignoir épais dans son cabas. Elle aimait la plage à la basse saison, cette odeur d’algues et de caillasse mouillée ; elle aimait ce vaste horizon laissé à lui-même. Et à elle.
A présent, il y avait le jardin dans lequel elle se rendait dès que possible. Un banc était installé près des massifs de fleurs. Les dahlias ressemblaient tantôt à des petits soleils étoilés, tantôt à des coraux, respirant dans leurs alvéoles l’humidité de l’automne. Au retour, chaque fois qu’elle franchissait la porte, elle se disait que peut-être elle ne reviendrait pas. Elle percevait des signes de fatigue qu’elle comprenait très bien. Un jour, elle se coucherait et, comme on nage sans retourner vers le rivage, elle resterait endormie. Chaque réveil était une nouvelle promesse. Celle de se tenir encore un peu au jardin, sous les grands arbres et les parterres de fleurs.

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2 réponses à Près des dahlias

  1. Emmanuelle P dit :

    « Chaque réveil était une nouvelle promesse » : promesse d’une aube à nulle autre pareille. Chacun reste à sa place : Jean-Louis reste ami, et Marthe liée à son défunt mari. 2 êtres immuables, et « l’entourage » change.

  2. Cécile C dit :

    Merci Emmanuelle pour ta lecture et à bientôt !

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