Cher inconnu,
J’espère ne pas vous importuner avec ce courrier mais voyez-vous tout va toujours trop vite aujourd’hui. Nous ne prenons le temps de rien. Alors cette année, j’ai eu envie d’entamer une correspondance. J’ai ouvert des pages blanches au hasard. Un vieux bottin que j’ai consulté aux archives nationales. J’ai d’abord tiré au sort un département, une année puis ouvert à la page 1387. J’ai fermé les yeux et mon index s’est posé sur votre nom. M. Paprika, enchanté de faire votre connaissance. Vous habitez le Morbihan, oui, je suis tombée sur le 56. Vous devez sûrement avoir une vue magnifique sur la mer de Bretagne. Est-elle froide en cette saison ? Est-elle agitée ?
Paprika, j’espère que vous ne vous offusquez pas de mon immiscion dans votre vie si soudainement. Sachez que vous êtes libre de faire de cette lettre ce que vous voulez : la jeter, la brûler, la montrer à la police si je vous ai fait peur. Mais, en vrai de vrai, même si je ne vous connais pas, j’aimerais vraiment que vous répondiez à ma lettre. Mais pour cela, il faudrait que je trouve les mots, les phrases qui vous donneraient envie de me répondre. Ne pas trop vous poser de questions ou peut-être devrais-je ? En tout cas, pas de questions trop intrusives, pas de questions banales sur la météo ou la température de l’eau chez vous.
Je me rends compte, M. Paprika, que ce n’est pas si évident que ça de faire le premier pas, même de manière épistolaire. Je pourrais vous dire que mon livre préféré est « Les liaisons dangereuses » mais n’y voyez aucun sous-entendu. Et vous ? Quel est votre livre préféré ?
Sinon, j’aime bien faire de la photo mais pas sur mon smartphone si vous voyez ce que je veux dire. J’aime bien enclencher la pellicule dans mon appareil, les développer dans ma chambre noire. Elles sont souvent floues mais je me rassure en me disant que c’est de l’art tout de même. Je devrais peut-être prendre des cours de photographie argentique pour qu’elles deviennent plus nettes. Mais franchement, je préfère quand elles sont floues, on y voit ce qu’on veut. Elles donnent encore plus l’impression d’être entre deux mondes.
Ce qui est curieux, M. Paprika, c’est que je ne garde pas ces photos. Je pourrais les classer dans un album, les annoter mais non je les laisse vivre au fond d’un tiroir ou suspendues dans ma chambre noire. Si nous continuons notre correspondance, je vous en enverrai de temps en temps.
Dites-moi M. Paprika, vous avez de la chance d’avoir un horizon. De chez moi, je ne peux pas regarder loin sans rien dire. Au mieux, je dis bonjour à la voisine, au pire, le gris du ciel, de l’ardoise et du zinc m’envahit. J’en oublie les couleurs. Du gris, du blanc, c’est tout ce qu’il y a autour de moi en ce moment. Même la neige tombe et se fixe sur le béton gris. Les photos que je prends sont aussi en noir et blanc.
Je vais vous faire un aveu M. Paprika. J’ai choisi votre nom parce qu’il mettait de la couleur dans ma journée, dans ma vie. Votre nom est roux et rapide. Il est épicé. Alors j’ai sûrement mis beaucoup d’attente dans votre nom, dans cette lettre que je vous écris sans vous connaître.
Ne m’en veuillez pas si cela n’a ni queue ni tête. Je couche mes pensées vagabondes sur ce papier à lettres que j’ai retrouvé au grenier. Il est joli, vous ne trouvez pas ?
Paprika, une autre pensée vient de franchir mon esprit : et si vous n’habitiez plus à cette adresse ? Et si vous étiez déjà mort ? Ben oui, le bottin est un peu vieux, j’ai essayé d’en prendre un récent pour avoir plus de chances d’avoir un vrai correspondant, un vivant.
S’il vous plaît, M. Paprika, répondez-moi, au moins pour me rassurer, savoir que vous êtes là. S’il vous plaît, ne nous contentons pas de la vie d’aujourd’hui, tentons. Prenons le temps de l’échange. D’avance merci.
Votre surprise dans la boîte aux lettres
Il est vraiment touchant ce texte, plein de promesses. On le lit avec plaisir, on attend la suite, on voudrait pouvoir faire pareil. Quelle belle imagination et j’envie de connaitre la suite de Mademoiselle Surprise et Monsieur Paprika…
Merci Sylvie.
Dominique L. a répondu à Mademoiselle Surprise sur le deuxième temps d’écriture (mais je ne l’ai pas encore vu sur le blog).
Les mots de M. Paprika ont pris forme au moins une fois 🙂
A très bientôt lors d’un prochain atelier.