Rien ne se dit

Partie sans parapluie. Marché sous le crachin. Embuées les lunettes pleines de gouttelettes. Ne rien voir ni personne. Prendre un mouchoir pour enfin voir. Se retrouver nez à nez avec des jardiniers du dimanche. Reprendre un escalier vide où seuls mes talons résonnent. Souffle coupé, sonnette appuyée, porte ouverte. Retrouver d’autres visages masqués. Se reconnaître dans les regards d’un bleu profond ou tout simplement marron.
***
Rien ne se dit, rien ne se montre. Tout est secret, tout est caché. La nature hiberne, les habitants aussi. L’hiver approche à grands pas, le ciel en pleure de chagrin. Le silence s’installe. La solitude aussi. La fumée sort des cheminées. Le feu crépite mais non, le bruit ne vient pas de là.
Les portes sont closes, les fenêtres aussi. La buée s’étale sur les vitres, sur les lunettes aussi. Des doigts dessinent des cœurs, esquissent des initiales. Tout disparaît à nouveau à la première respiration.
Dans la cuisine, les casseroles s’affolent. Les visiteurs ne devraient plus tarder. La neige les aura sûrement retardés. Elle n’attend plus qu’eux. Le sapin clignote. Les cadeaux scintillent. Les étoiles brillent. La lune radote.
Madeleine erre et tourne sur elle-même. Elle lance le gramophone. Seuls ses talons résonnent. Elle ne sait pas si elle a envie de regarder derrière. Elle ne sait pas si elle veut ressasser son passé, ses échecs, sa vie d’avant.
Rien ne se dit, rien ne se montre. Tout est secret, tout est caché. Loin de toute pensée, elle danse. Elle se laisse porter pour oublier. Un deux trois, un deux trois. Elle attache ses cheveux en un chignon strict, lève le menton pour accentuer son port de tête. Ses bras se tendent et l’aident à virevolter. Un deux trois, un deux trois.
Le disque grésille. Le silence s’impose à nouveau. Même les casseroles sont sages et attendent l’heure.
Elle s’approche de la fenêtre. Son index tente à nouveau une initiale qu’elle entoure d’un cœur. Sa tête tourne, elle sent les pulsations de son sang dans toutes ses veines. Où est-il ? Viendra-t-il ? Chaque année, elle espère, chaque année, elle a peur.
Des flocons de neige commencent à se former. Elle avait entendu que l’amour durerait toujours si elle était avec lui lors des premières neiges.
Madeleine pleure. Elle efface de toute sa paume l’initiale et le cœur.
Elle entend des pas faire craquer la neige. La sonnette retentit. Surprise, elle ouvre la porte. La gendarmerie se tient droite devant elle. Un papier est tendu avec le sceau de la République. Peu de mots sont échangés, à peine un désolé.
Madeleine décachète l’enveloppe, déplie le courrier. Elle ne voit que le tampon rouge sang Mort pour la patrie. Ses larmes cessent de couler. Elle s’agenouille devant la cheminée, y jette le papier.
Rien ne se dit, rien ne se montre. Tout est secret, tout est caché. Madeleine continuera à l’espérer.

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2 réponses à Rien ne se dit

  1. Emmanuelle P dit :

    Très beau ! J’aime beaucoup les palpitations du texte, qui telles un cœur allument et éteignent les spots qui éclairent des instants de vie, des souvenirs vaporeux.

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