Une semaine à la campagne

Les enfants courent dans le pré, tentant d’éviter les flaques d’eau. Leurs bottes en caoutchouc s’enfoncent dans la boue dès qu’ils s’arrêtent. L’air vif rosit leurs joues rebondies. Ils sont heureux d’avoir été autorisés à sortir malgré la pluie qui continue de menacer. Toute une journée enfermée ! La journée d’hier avait été un calvaire. La pluie n’avait pas cessé du matin au soir, transformant le ruisseau en torrent qui frappait rageusement les pierres et les branches du saule qui avaient l’inconscience de se ployer en direction de l’eau, sous les gifles du vent. Les enfants s’étaient demandé vers où se précipitait cette masse liquide que les colverts avaient désertée. Derrière les carreaux de la porte fenêtre du salon, ils avaient patienté pendant des heures, refusant de s’assoir pour jouer aux cartes. Ils avaient des picotements dans les jambes à force de rester immobiles. Ils avaient bien tenté une course poursuite dans les escaliers qui montaient aux chambres mais ils avaient juste réussi à réveiller les grands parents qui faisaient leur sieste quotidienne, au point que vers 15 heures, grand-père, raide comme un verre de lampe, leur avait crié : « Débarrassez-moi le plancher et allez dans votre chambre. Je ne veux plus entendre un bruit ». Dépités, la mine basse, ils s’étaient enfermés dans la pièce, tournant en rond, en chaussette sur le parquet pour ne pas faire grincer les lattes de bois.

Grand-mère était partie dans sa cuisine, se demandant bien quelle soupe elle allait préparer pour le soir. Un vieux brocoli, au vert jaunissant, patientait dans une cagette dans la réserve. Grand-mère sentit que c’était l’heure pour lui de rejoindre quelques carottes et pommes de terre pour le dîner du soir. A l’instant où elle le soulevait, un magnifique ver entreprit de ramper pour fuir l’éclat de l’ampoule qui en faisait une cible pour l’œil expert de grand-mère à qui rien n’échappait dans son domaine : « Ne crois pas que tu vas continuer à te faire nourrir au chaud, mon gars. C’est ton jour de chance, tu vas pouvoir prendre une douche dans le pré » lui dit-elle en le balançant par la fenêtre. L’odeur du brocoli avaient envahi la maison pendant que la soupe clapotait sympathiquement dans le faitout. Et la journée s’était tranquillement étirée jusqu’au repas, trop lentement pour les enfants. Grand-mère avait dit : « demain, il faudra les fatiguer, sinon on ne pourra jamais les tenir toute la semaine ». Et tout naturellement, malgré la pluie qui persistait, le vent qui poussait les nuages, la terre qui collait aux semelles, au petit déjeuner, elle leur avait dit : « allez, vous pouvez aller courir dehors, mais vous ne sortez pas du pré et vous ne descendez pas près du ruisseau. Je n’ai pas envie d’aller vous récupérer dans l’océan ». Alors maintenant, ils s’ébrouent dans le pré comme de jeunes poulains qu’on vient de libérer de l’écurie. Ils courent les bras écartés comme des hirondelles prêtes à décoller. Ils glissent dans les flaques de boue, se rattrapant de justesse. L’herbe détrempée fouette leurs mollets, l’eau dégouline dans leurs bottes, imbibant leurs chaussettes mais ils ne sentent pas l’humidité s’installer. Ils sautent, ils courent, ils crient !

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2 réponses à Une semaine à la campagne

  1. Emmanuelle P dit :

    Merci Marie-Jo, je les vois ! Experte dans les récits familiaux. J’aime beaucoup l’association de la soupe avec clapoter. J’écouterai mieux la soupe une prochaine fois.

  2. Sylvie W dit :

    on sent bien l’énervement du grand-père, le fumet de la soupe de la grand-mère, l’impatience des enfants puis leur défoulement. on y est!

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