L’attente

A 12h05 pile, le téléphone retentit. Iris se précipita pour décrocher. Tellement que le téléphone failli lui échapper des mains.

« Allo, Iris Bonneti à l’appareil.

-Bonjour, Madame Bonneti, je vous appelle de la part de SFR, votre opérateur …

-Je suis désolée, je ne suis pas intéressée, le coupa-t-elle aussitôt.

-Vous n’avez même pas entendu notre proposition. Il s’agit d’un nouveau forfait … »

 

Iris cessa d’écouter et chercha un moyen de l’interrompre poliment. Elle attendait un coup de fil important mais les préceptes de sa mère étaient beaucoup trop ancré dans son esprit. « Ils font leur travail donc ce n’est pas la peine d’être désagréable ! » Elle essaya à nouveau de la couper :

« Monsieur, je suis vraiment désolée mais j’aime mon forfait comme il est et je dois raccrocher.

-Vous êtes sûre ?! Vous pourriez avoir plus de giga, tout en illimité, plus des abonne… »

 

Cette fois-ci, Iris lui raccrocha au nez. La politesse c’est bien mais cela va dans les deux sens. Elle sentit pendant quelques instants le frisson de l’interdit, de la transgression la parcourir. Elle n’avait jamais raccrocher au nez de personne. Le tic-tac de l’horloge du salon la ramena au moment présent. 12h10. Elle vérifia qu’elle n’avait pas d’appel manqué. Non, rien du tout. Iris essaya de se calmer. Il avait dit à partir de midi. Pas midi pile. Elle regarda pour la nième fois si elle avait bien mis le son. Oui bien sûr, preuve en était de l’appel cinq minutes avant. Son téléphone toujours fermement serré dans la main, Iris se dirigea vers la fenêtre. Un rayon de soleil vint chauffer son visage. Elle prit de profondes inspirations pour calmer les battements de son cœur. Elle remit une mèche blonde derrière son oreille et contempla le ciel. Il était d’un bleu limpide sans aucun nuage. Une journée à sortir de chez soi pour s’aérer l’esprit. Néanmoins, Iris ne pouvait pas. il fallait qu’elle attende son appel. Elle tourna la tête vers l’horloge. 12h20. A croire que le temps s’écoulait de plus lentement aujourd’hui. C’est toujours ainsi quand on attend quelque chose avec impatience. Le temps ralentit. Il s’allonge comme si les secondes durait des minutes et les minutes des heures.

 

Iris commença à taper du pied nerveusement. Elle ne pouvait rien faire qu’attendre de toute façon. Elle attrapa la télécommande et alluma une chaine au hasard. Peu importe, c’était juste pour s’occuper l’esprit. Le remplir d’autre chose que l’attente. Elle zappa quand même en quelques clics pour trouver un programme convenable. Simple, léger et sans prise de tête. Une Nounou d’Enfer apparu alors. Elle connaissait tous les épisodes mais c’était exactement ce qu’il lui fallait. Elle grimaça en entendant les voix françaises. Tant pis, c’était juste pour passer le temps, elle s’en accommoderait. Elle se concentra sur l’écran et ferma son esprit à tout autre chose. Enfin, elle essaya. Son téléphone toujours dans la main lui rappelait sans cesse l’attente. Cette attente interminable qui s’allongeait de plus en plus. Le générique de l’épisode se déclencha. Elle n’avait rien suivi. La distraction ne fonctionnait pas apparemment. Un coup d’œil à l’horloge. 12h35. Le temps passait un peu plus vite, mais l’attente s’agrandissait encore. 35 minutes depuis midi.

 

Elle détestait cette notion de temps vague qu’il lui avait donné. « A partir », cela ne veut rien dire. 20h c’est à partir de midi mais elle ne pouvait pas attendre autant. Elle allait exploser d’impatience avant. En plus, il avait préciser de ne pas le harceler, les choses n’avanceraient pas plus vite. Mais cela lui aurait donnée quelque chose à faire. Son regard se posa alors sur la table basse. Des verres, des livres, des stylos. C’était le bazar dans toute la pièce en réalité. Faire le ménage cela occupe non ?! iris regarda une dernière fois son téléphone avant de le glisser dans la poche arrière de son jean avec le son à fond. Puis elle entreprit de ramener toute la vaisselle qui trainait dans la cuisine. De ranger les livres dans la bibliothèque. DE regrouper les magazines sur un coin de la table. D’aligner les coussins sur le canapé. Le salon avait meilleure allure. Alors elle enchaina avec la cuisine. Elle vida le lave-vaisselle pour le remplir de tout ce qu’elle avait ramené des autres pièces. Elle finit par un coup d’éponge dans l’évier et sur le comptoir. Elle était satisfaite. Pendant un cours instant, c’était le sentiment qui primait. Jusqu’à ce qu’elle sente une vibration sur ses fesses et qu’une petite musique emplisse la pièce. Aussi rapidement que possible, elle sortit son téléphone de sa poche et ouvrit le message. Aussi vite que l’excitation était monté, elle redescendit. C’était juste un message de sa mère qui lui demandait si elle avait des nouvelles. Elle envisagea de ne pas répondre mais elle ne pouvait pas faire subir son calvaire à autrui. Elle envoya un expéditif « Non » en s’en voulant un peu de ne pas mettre les formes. Mais elle avait d’autres chats à fouetter. Iris avait toujours trouvé cette expression étrange. Quelle idée de fouetter un chat, encore moins plusieurs. Elle se demanda alors qu’elle pouvait bien ne être l’origine.

 

Elle s’empara de son portable pour chercher mais son regard croisa l’heure. 12h59. Presqu’une heure passée depuis le « a partir ». Elle commençait à se dire que rien ne servait d’attendre aussi fébrilement. Ce n’était pas comme si c’était une nouvelle qui allait changer sa vie. Enfin si c’était une nouvelle qui allait changer sa vie. Et cette attente devenait insupportable. Elle s’en foutait de la décision à ce stade. Elle voulait juste savoir. Etre fixée. Avoir connaissance de l’avis. Elle gérerait les conséquence de la nouvelle ensuite, elle voulait juste en avoir une. La colère commençait à prendre le pas sur l’impatience. Elle se força à stopper ses pas. Elle devait déjà en être au cinquième tour de cuisine. Elle avait espéré recevoir cet appel bien plus tôt et maintenant , elle se rendait compte qu’il pouvait arriver dans cinq minutes ou des heures. Il lui fallait vraiment trouver une occupation. Penser à autre chose ou elle allait finir en crise d’angoisse. Iris se força donc à poser le téléphone sur la table de la cuisine. La vibration et le son étaient à fond. Elle ne pouvait pas rater un appel. Elle alluma la bouilloire puis sortit une tasse. Elle prit son temps devant le placard. Elle essaya de ralentir son esprit à défaut d’accélérer le temps. Elle choisit un thé chaï pour lui réchauffer le cœur. Elle versa l’eau dans la tasse en faisant bien attention de ne pas se bruler. Ce n’était pas le moment de finir aux urgences. Elle observa un instant le sachet tourbillonné dans l’eau puis prit la tasse et alla dans le salon. Sans bien sûr oublier le téléphone. Elle savait qu’il fallait qu’elle occupe ses mains. Se concentrer vraiment sur quelque chose.

 

Elle sortit donc son carnet de coloriage, ses crayons de couleurs. Elle hésita un instant puis attrapa aussi ceux aquarellables. Elle retourna dans la cuisine remplir un verre d’eau et attraper un pinceau qui séchait dans l’égouttoir. Elle prit le temps de bien arranger son espace de travail. Sa tasse sur la droite à portée de main. Le verre d’eau à gauche pour ne pas se tromper. Le carnet au centre. Les crayons et le pinceau à côté du verre à gauche. Le portable à côté de la tasse à droite. Il ne lui restait plus qu’à choisir le dessin. C’était un choix cruciale et méticuleux. Elle feuilleta le carnet à le recherche de quelque chose qui lui donnerait envie. Presque à la fin, elle tomba sur la bonne image. Une montagne avec à son pied une petite plage et un bateau, et à son sommet un phare. un chemin serpentait entre les sapins de la plage et le phare en passant par une maisonnette à flanc de montagne. L’image trônait au milieu de la page blanche. Faite de lignes noires, c’était à Iris de lui donner de la couleur. Elle ouvrit sa boite de crayons et les étala à côté d’elle. Elle pouvait voir tout le choix des couleurs d’un seul coup d’œil. Elle décida de n’utiliser les aquarellables uniquement par touche. Le reste serait fait aux crayons traditionnels. Elle commença par le vert. Elle tria toutes les nuances de vert. Autant de crayons que de vert sur la page. L’herbe. Les sapins. Les feuilles des plantes sur la plage. Une fois les différents choix faits, elle coloria. Un crayon après l’autre, elle appliqua les aplats de couleur d’abord puis les ombres et les lumières. A intervalle régulier, elle pensait à boire une gorgée de thé. Son esprit était entièrement absorbé par le coloriage devant elle. Une fois les verts appliqués, elle passa au bleu de la mer. Pour cela, elle sortit les aquarellables. Cela lui permettait de créer un dégradé de couleur et de mélanger plus facilement les différentes teintes. Elle crayonna puis trempa le pinceau dans l’eau. Elle mélangea, étira les couleurs jusqu’au résultat voulu. Ensuite, elle entreprit de colorier la maison eu milieu de la montagne. Elle choisit une couleur pierre tout en nuance de gris. Du marron pour les volets et les fenêtres. Un toit de tuile rouge. Un grand classique. Des volutes de fumées s’échappaient de la cheminée. Elle choisit encore l’aquarelle pour créer des ombres et du mouvement. Et enfin, il ne restait plus que le phare au sommet. Iris décida de se faire plaisir et de laisser le naturel où il était. Elle prit le violet, le turquoise et le rouge. Les trois crayons dans la main gauche, elle réfléchit un instant. Elle évalua les formes, le dessin, les vides. Puis alternant entre les trois couleurs, elle remplit de couleur les dernières tranches de blanc. Les crayons posaient de gauche à droite puis de droite à gauche suivant le choix. Elle ajouta quelques détails. une texture de pierre, de toits, quelques brins d’herbe. Finalement, elle posa les crayons et prit sa tasse. l’eau restante était plus tiède que chaude. Néanmoins, la chaleur se diffusait toujours dans ses mains. Elle admirait son œuvre avec satisfaction. Même si ce n’était que mettre de la couleur, elle avait créé quelque chose. elle laissa son regard parcourir chaque recoin de la page en finissant son thé.

 

Elle avait enfin réussi à oublier les décisions, les appels et l’attente. Son esprit était apaisé. Tout pouvait repartir en un instant mais elle appréciait le répit. Elle reposa sa tasse vide et étira son dos. Elle avait toujours une mauvaise position en coloriant. Son dos calé contre la chaise, elle sentit la chaleur des rayons du soleil sur sa peau. Elle ferma les yeux pour absorber la quiétude du moment. Prolonger le plus longtemps cet instant suspendu, hors du temps. hors des préoccupations et du fil de sa vie. Plus d’horloge, de décision, de portable. Un sourire se dessina sur son visage. Elle resta ainsi sereine, profitant le plus longtemps possible. Jusqu’à ce qu’une musique forte et soudaine accompagnée de vibrations sur le bois résonne dans la pièce. Sa bulle explosa alors et Iris se jeta sur le téléphone. 13h34. Peut-être le changement de sa vie. Elle regarda l’identité de la personne. C’était lui. C’était bien lui cette fois-ci. Elle décrocha.

 

« Allô, Iris Bonneti à l’appareil.

-Bonjour Madame Bonneti, Monsieur Riquet, je vous rappelle à propos de l’affaire qui nous concerne.

-Oui bien sûr, vous avez eu des nouvelles ?

-Comme je vous l’avais expliquer, ce ne fut pas simple et il a fallu employer de grands moyens … »

 

Iris ne l’écoutait que d’une oreille, il avait toujours été bavard. trop bavard. Toujours à expliquer tout en long et en large. Mais interrompu, il perdait le fil, alors elle le laissa faire. La quiétude des instants précédents était parti pour laisser place à l’impatience et l’inquiétude. Il détaillait toujours la procédure donc elle lâcha l’écoute. Un peu trop qu’elle rata l’information importante.

« Pardon vous avez dit quoi ?

-Vous avez acheté une maison Madame Bonneti. Félicitations ! »

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Une réponse à L’attente

  1. Aliette S dit :

    Quelle attente ! On est dedans, aussi impatient qu’elle. Bravo

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