Thé à l’eau de parapluie

Boire du thé, lire des livres, être heureuse !

Depuis cette année de confinement, cela a été pour elle comme un leitmotiv. Elle poussait le temps pour garder le moral. Tous les jours elle se préparait du thé. Une petite cérémonie personnelle qui la rendait heureuse. Elle s’était promis qu’à la sortie de ce moment pénible appelé confinement, elle s’inscrirait à la Maison du Japon pour s’initier à « la cérémonie du thé » afin de le préparer dans les règles de l’art. En attendant ce moment encore incertain, elle s’était achetée plusieurs livres sur le sujet, choisissait avec soin le thé qu’elle préparait et rêvait d’un voyage au Japon.

La pluie sur les carreaux comme un roulement de tambour la transporte dans la maison de son enfance… La maison de sa grand-mère dans la campagne normande avec ses vergers et ses odeurs de pommes. Sa grand-mère, vieille dame ridée, avait les yeux remplis de gentillesse, des yeux qui souriaient.

L’été, le soleil et juste elles deux ! …

L’imagination de la vieille dame était sans limite. Pendant l’année elle noircissait les pages d’un petit carnet à la couverture bleue. Elle y inventait des histoires poétiques, aux personnages malicieux, des histoires qui se terminaient toujours bien. Elle y relatait également nos aventures estivales, comme cet été où le soleil a disparu une semaine au profit d’une grosse pluie qui cognait sur les carreaux comme un roulement de tambour, pluie qui semblait ne pas vouloir s’arrêter. Coincées à la maison nous avions le moral en berne. C’est la première fois où nous avons bu du thé à l’eau de parapluie. La recette est simple disait grand-mère, il suffit de se placer sous un gros nuage plein de mer évaporée, chargé de soleil, de sauterelles et de coquelicots. Pour savourer ce thé il faut fermer les yeux et sentir les vacances couler dans ses veines. Ce breuvage chaud et doux me racontait une histoire.

Une fois que nous avions repris des forces, gonflées à bloc, nous profitions des joies sauvages de la nature : chausser les bottes et sortir marcher sous la pluie. Grand-mère malgré son grand âge marchait comme les enfants dans les flaques d’eau et enjambait les tapis de violettes. Tous ces moments douillets, elle les relatait dans son carnet.

Elle possédait une collection de boules à neige glanées au fil de ses voyages ou offertes par des amis. J’aimais les manipuler, voir la neige tomber sur le Sacré Cœur me réjouissait…

La pluie a cessé de battre les carreaux, en savourant mon thé je retrouve mon énergie et l’envie de sortir marcher dans les flaques d’eau.

Grand-mère a quitté ce monde il y a plusieurs années mais il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. Tous ces moments chaleureux et de grande simplicité se sont imprimés dans mon cœur.

Un jour, le facteur a déposé dans ma boite aux lettres un paquet envoyé par un notaire. A l’ouverture, j’ai découvert qu’il était rempli de sourires. Bien enveloppées et rangées les unes à côté des autres : les boules à neige ! Je les ai sorties l’une après l’autre, j’ai retourné ma préférée pour voir la neige tomber sur le Sacré Cœur.

Dans le fond du carton, un petit carnet bleu rempli d’une jolie écriture. Nos aventures estivales et les histoires écrites rien que pour moi…Une lettre pour me prévenir que si je recevais ce paquet c’est qu’elle ne serait plus là. Elle avait dû préparer son paquet bien avant de nous quitter. Comment disait-elle ? -mettre ses affaires en ordre. –

En feuilletant le carnet, j’y ai trouvé une dernière histoire, petit moment d’éternité où elle relate notre voyage à Trouville. J’avais entouré mon château de sable d’une bouée pour qu’il ne soit pas grignoté par la mer. Au matin la mer avait tout emporté : le château et ma bouée. Quelle déception ! Déjà les larmes envahissaient mes yeux. Elle m’avait consolée en me disant que la bouée pourrait servir à un poisson qui ne savait pas nager ou qui avait peur de l’eau…

Aujourd’hui je suis grand-mère. A mon tour j’écris des histoires pour mes petits enfants et les boules à neige les font rêver.

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5 réponses à Thé à l’eau de parapluie

  1. Sylvie W dit :

    comme j’aurais aimé avoir cette grand-mère….peut-être que la petite-fille pourrait m’adopter, maintenant qu’elle est grand-mère à son tour, sur les traces de cette charmante normande?…
    Quel beau et touchant texte

  2. aliette dit :

    « Grand-mère a quitté ce monde il y a plusieurs années mais il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. »
    Avez-vous lu « Au bonheur des morts » de Vinciane Despret, un essai en forme de récit, qui pourrait être illustré par votre phrase.
    J’aimerais bien boire du thé à l’eau de pluie. La prochaine grosse pluie, j’essaie, promis !
    Merci pour ce joli texte
    Aliette

  3. Monique C-B dit :

    Merci pour ce si joli texte, Hélène, j’ai retrouvé en le lisant toute l’émotion et la justesse ressentie durant l’atelier.

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