Nina à Paris

Un peu désorientée elle restait plantée là, dans le  hall de la gare de Cologne, devant ces immenses écrans qui incitent à visiter Bruxelles, Amsterdam, Paris. A travers la verrière le soleil jetait des reflets irisés sur les trains. Nina avait choisi Paris. Son amie Gerda lui avait passé la clef de son studio rue Mouffetard. C’était un de ces matins conquérants, quand on a l’impression d’avoir pris la bonne décision après des jours d’hésitation. Un de ces matins pleins de sentiments à la fois mitigés et rassurants.

La veille, Nina avait acheté une valise bleue qui lui plaisait beaucoup, toile solide, quatre roues et une jolie poignée. Dans ce hall ensoleillé il faisait pourtant un peu frais et Nina glissa ses mains dans les poches de son manteau. Un contact rassurant! Ouf ses clefs! Cette fois- ci elle ne les a pas oubliées. La clef de la porte d’entrée, celle du fond, donnant sur le jardin, aux encoches plus grossières. Ce fut un instant d’équilibre serein, pas besoin de serrurier, comme en juillet, à son retours de vacances. Et puis soudain une troisième clef, accrochée à l’anneau qui déclencha une petite mélodie pleine de fausses notes. De ses doigts tremblants elle colla la clef contre sa paume, la sentit se réchauffer au contact de sa peau. Navrée elle poussa un petit cri. La clef de Jean…Elle a oublié de la lui rendre…la nostalgie est quémandeuse. La revoilà amoureuse, grimpant les trois étages le cœur battant. Elle sonne. Il n’est pas rentré. Elle se souvient de sa joie quand il lui a  confié la clef de son appartement. Ce jour là elle l’utilise pour la première fois. C’est une effraction tendre et consentie. Une odeur de vétiver accompagne ses pas dans l’entrée.

Un haut- parleur s’est mis à hurler des mots inaudibles. Le Thalys venait d’arriver à quai. L’habituelle bousculade et elle se retrouva dans le train. Surtout ne pas pleurer, penser à Paris. Elle va marcher rue Mouffetard, manger une crêpe, descendra un boulevard, tiens si elle s’achetait une écharpe. Elle veut voir la  Eiffel scintiller au Trocadéro. L’homme assis en face d’elle lui a souri et parce qu’elle n’avait Pas envie de parler, elle s’est levée pour aller prendre un café. Cet homme l’agaçait.  Et puis arrivée au bar elle a eu envie de jeter la clef de Jean dans la poubelle. Mais non,  cela aurait été comme jeter toutes ces années passées à ses côtés.

Quelques heures plus tard le studio de Gerda lui sembla encore plus minuscule que dans ses souvenirs. Comment les français qui font tellement de gestes en parlant peuvent-ils survivre dans si peu d’espace, se demanda-t’elle. Elle eut envie de sortir et voulut se changer. Pas moyen de retrouver la clef de sa valise. Mais pourquoi avoir mis un cadenas avec une clef, tu es tellement old style ma pauvre fille, tellement distraite. Elle se maudit, trépigna, essaya encore de forcer le cadenas avec des ciseaux trouvés dans la salle de bains . Puis secouée d’un rire incisé de sanglots, elle s’assit sur le lit. Et zut à quoi bon tous ces reproches! Nous les femmes, nous sentons toujours coupables. scheisse! Et bien quoi tu l’as perdue, voilà tout! Elle sortit acheter un solide couteau de cuisine et, pleine d’entrain pour la première fois depuis des semaines, elle attaqua à grandes entailles la toile bleue de sa valise neuve.

MM

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Une réponse à Nina à Paris

  1. Sylvie W dit :

    ca coule de source et en douceur. On suit les pensées et sentiments de Nina et on est avec elle lorsqu’elle découpe sa valise neuve! Bravo

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