25 pas

25 pas jusqu’au banc en métal. Appuyée au montant de la porte, Marianne a la tête qui tourne. Elle a l’impression que le banc s’éloigne à une vitesse vertigineuse, comme dans un film d’Hitchcock. Dehors, il n’y a que le vieux qui passe son temps à lancer ses chaussures. On les retrouve toujours aux quatre coins du parc.

25 pas. Il y a quelques mois, elle n’aurait même pas compté. Tout est devenu si compliqué. Se lever, s’habiller, manger. Trouver un sens à ses gestes. Chaque mouvement est un petit élan vers quelque chose. Elle doit le considérer comme une victoire. C’est ce que le médecin lui a dit quand il l’a vue replacer une guirlande sur le sapin de la salle commune.

La semaine dernière, elle avait eu envie de se lever pour la première fois depuis des jours. Une odeur de pain grillé avait chatouillé sa mémoire, retrouvant l’itinéraire oublié des sensations cénesthésiques. Son corps était un château dévasté. La châtelaine déchue devenue prisonnière essayait de trouver la sortie. Elle se souvenait à peine des premières semaines dans le centre tant on l’avait assommée de médicaments. Il fallait se fixer des objectifs simples.

25 pas. Pas de danger dans ce havre de paix, mises à part les godasses volantes du vieux. C’est presque beau, pensa-t-elle, ce banc qui n’attend qu’elle. Ses mains tremblent quand elle lâche la porte. Les graviers sous sa chaussure. Cela faisait si longtemps. Elle a toujours aimé ce bruit.

24 pas. L’oxygène et la lumière la font tourner. Ses sens se gavent après des semaines de privation. Les odeurs sont décuplées, les sons très forts. La vie se jette sur elle pour la convaincre de revenir.

22 pas. Un sourire se dessine sur ses lèvres.

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Une réponse à 25 pas

  1. Aliette S dit :

    c’est beau, cette vie qui se jette sur elle pour la convaincre ! Merci pour ce joli texte plein de renaissance!

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