Je me baladais avec Will. Il s’appelait Will. Otage de huit ans trois-quarts d’une famille qui buvait sans soif et vivait dans un cagibi aux abords de l’autoroute. Il était épatant je me souviens dans sa perspicacité à reconnaître les voitures galopant sur l’asphalte. « Audi » était peut-être son premier mot. Le nez collé à la vitre il regardait les voitures passer imaginant les gens à l’intérieur des voitures passantes, son esprit allant aussi vite que tous les kilomètres avalés.
Je me suis entichée de ce petit au nez de travers et au faciès d’enfant d’alcoolique dans les cours de soutiens où j’étais bénévole quand j’étais étudiante … Pour croire encore au socialisme, au père Noel et gagner des points au paradis. On aimait se promener tous les deux après les cours. En attendant les parents qui parfois ne venaient pas, oubliaient qu’ils l’oubliait. Il parlait sans s’arrêter le minot, les yeux en l’air avec son air de vouloir manger le ciel. Il me racontait que son rêve c’était ou de voir les mouettes, ou entendre les clochettes du père Noel.
Moi j’ai grandi dans une famille où on kidnappe à la forêt de vrais sapins à décorer et où les parents planquent les cadeaux dans le garage. Lui à huit ans trois-quarts, il avait encore envie d’y croire. Je le soupçonnais fortement de s’accrocher désespérément à l’idée sous peine de crouler dans le désespoir. Faire semblant qu’il y croyait encore pour croire encore tout simplement à quelque chose, ne pas le laisser disparaître. C’est comme si, quand tu grandis, tu avais le choix entre être réaliste et désabusé, ou être optimiste et débile.
Mais dans sa débilité choisie, je l’admirais. C’était sa possibilité de dépasser l’univers de l’autoroute, des pieds nus dans les bacs à sable où l’on retrouve plus de beu que de pelles en plastique.
J’aimais l’écouter.
Et puis un jour il n’est plus venu. Absence. Un terrible vide a occupé mes nombreuses semaines, je l’attendais. Je suis même allée à son école, parler à sa maîtresse. Il est rentré au pays, ça arrive qu’ils ne reviennent pas. Ah bon. Ca se passe comment sans au revoirs ?
Il me hante souvent et m’interroge, les yeux en l’air. Je fixe le ciel et je me demande : est-ce qu’à cet instant il fixe le même que moi ? la seule chose qui nous est commune.